Cinq continents, 88 États et gouvernements, 320 millions de locuteurs… mais la francophonie, c’est d’abord une histoire africaine! Quant à ses pères fondateurs, d’abord: le Sénégalais Senghor, le Tunisien Bourguiba, le Nigérien Diori, l’Ivoirien Houphouët-Boigny et le Meknassi Jobert, quand peu croyaient en la création d’un espace de coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage.
Quant à son outil institutionnel, l’OIF, dont la secrétaire générale est Louise Mushikiwabo, rwandaise; dont le plus grand pays -par sa géographie et sa démographie- est la République démocratique du Congo. Et qui compte, parmi ses 54 membres de droit, près de 50% d’États africains. (Parmi eux, trois pays du Maghreb, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie.) Quant à son avenir enfin? Aujourd’hui, 60% des locuteurs quotidiens du français vivent en Afrique et, parmi eux, plus de 47% sont en Afrique subsaharienne. Ce sont eux qui dopent les statistiques de la francophonie. Et c’est au regard des projections démographiques du continent, seulement, que l’OIF peut afficher, à horizon 2050, 715 millions de francophones, et un continent africain rassemblant près de 90% de la jeunesse francophone.
En 2017, dans un discours à l’Université de Ouagadougou, le Président Macron prophétisait: «Le français sera la première langue de l’Afrique et peut-être du monde si nous savons faire dans les prochaines décennies».
Mais saurons-nous faire? Car, en France même, le français dégringole. Et si, depuis ses débuts, selon les mots de Boutros Boutros-Ghali, «la francophonie est née d’un désir ressenti hors de France», le désintérêt des élites françaises pour leur langue atteint aujourd’hui des sommets, précisément le sommet de l’État, rebaptisé Start Up Nation. La publicité, le monde de l’entreprise, les décideurs publics… Aucun secteur n’échappe aux anglicismes, et ces maux franchissent les frontières. Quand on construit l’Union européenne, on pense atlantisme et on légifère en anglais, même après le Brexit. À la Commission européenne, en 2019, 85,5% des documents envoyés en traduction avaient l’anglais comme langue source, contre 3,7% (34% vingt ans plus tôt) pour le français. Et quand le Président porte la voix de la France à l’étranger en anglais, il finit par être reçu, pour un discours au Palais présidentiel d’Alger, avec un pupitre portant la mention «Presidency of the Republic»…
Que pourrons-nous faire? En cet automne où la dette est l’épée de Damoclès du gouvernement français, le renforcement des moyens pour sauver les lycées français à l’étranger reste impérieux. Ce réseau unique maillant le monde entier, accueillant deux tiers d’élèves de nationalité étrangère, que toutes les grandes puissances enviaient à la France, est déjà grandement fragilisé par les choix budgétaires à courte vue des dernières décennies. Doubler les effectifs scolarisés dans les établissements d’enseignement français à l’étranger d’ici 2030? Une promesse présidentielle récente, mais déjà balayée et occultée cet été par le coup, peut-être fatal, porté par la Turquie aux écoles françaises d’Istanbul et Ankara -en décidant d’interdire toute nouvelle inscription d’élève turc ou binational dans les bien nommés lycées Loti et De Gaulle, au nom d’une «réciprocité» exigeant de la France l’autorisation d’ouvrir des écoles turques sur le sol français… à rebours de l’esprit de «la mission» et de l’histoire des échanges entre la France et la Sublime Porte.
Enfin, que voudrons-nous faire? Car préserver ce fleuron de diplomatie culturelle que sont les lycées français ne suffira pas à endiguer les réelles menaces qui pèsent sur la langue française en Afrique et au Levant (pauvre Liban), si la France ne mène pas, en même temps, une politique offensive sur le français, vu comme la langue des études supérieures et de la recherche. Déjà, une loi de juillet 2013 autorise, dans les universités, des enseignements en anglais, heureusement encadrés à l’initiative d’un député des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest qui savait le malheureux signal donné à sa circonscription! Également, l’augmentation continue des frais de scolarité différenciés pour s’inscrire en France est un très mauvais signal donné aux étudiants francophones non européens. Mais plus encore, être le premier pays non anglophone en termes d’attractivité dans l’enseignement supérieur, et mener, comme ce fut le cas ces deux dernières années, une politique de visas inutilement vexatoire, a renforcé un sentiment antifrançais outre Méditerranée, exploité par tous les concurrents, qu’ils soient russes, chinois ou simplement européens. Seule une politique ambitieuse de visas francophones peut permettre à la France de garder son attractivité dans le marché de l’influence «Post Bac».
Formons le vœu que le Sommet de Paris accouche d’un Erasmus francophone qui bénéficie demain à la jeunesse africaine, tout autant qu’aux étudiants français, pour que ces derniers puissent, depuis l’Afrique, apprécier l’universalité de leur langue.