La junte accuse la France de comploter avec le Maroc et Israël pour déstabiliser l’Algérie

Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune lors de la visite du président français en Algérie, le 27 août 2022.. AFP or licensors

Depuis mardi 30 mai, les journaux algériens proches du pouvoir se relaient pour annoncer l’existence d’un complot, préparé dans le «secret» le plus total par les services de renseignements marocains, israéliens et français. Il est ainsi fait état d’une réunion tripartite en Israël, tenue lundi dernier, et qui viserait à déstabiliser l’Algérie. Si la littérature complotiste relative au Makhzen et à «l’entité sioniste» est une ritournelle du régime algérien, l’accusation de la France, à l’orée d’une hypothétique visite d’État de Tebboune, prête en revanche à de nombreuses interrogations.

Le 31/05/2023 à 14h56

Deux médias, l’un francophone et l’autre arabophone, ont simultanément publié, le mardi 30 mai, un article similaire relatant un complot en préparation contre l’Algérie, et dont les instigateurs seraient le Maroc, la France et Israël. Tout est parti des colonnes du site Elkhabar qui, dans son édition du mardi 30 mai, écrit que «des sources sécuritaires très sûres» l’ont informé qu’une réunion de «très haut niveau» s’est tenue en Israël le lundi 29 mai, entre les services de renseignement israéliens, marocains et français, avec un seul point à l’ordre du jour: «la déstabilisation de l’Algérie à travers l’initiation du « désordre » dans quatre de ses wilayas».

Le même jour, le journal L’Expression rapporte la même information en citant à son tour «des sources sécuritaires très sûres». Quand on sait que l’Expression est un journal quasi officiel de l’armée, inutile de chercher très loin l’identité de ses «sources sécuritaires très sûres» qui lui «ont indiqué qu’une importante réunion s’est déroulée hier à Tel-Aviv, avec comme ordre du jour précis: l’élaboration d’un plan de déstabilisation de l’Algérie».

Une supposée réunion tripartite

Donc la junte a diffusé à deux journaux, l’un arabophone, l’autre francophone, l’information d’une réunion tripartite entre les services de renseignement marocains, français et israéliens avec un seul point à l’ordre du jour: semer le chaos en Algérie. Cette information a été ensuite reprise, ce mercredi, par la majorité de la presse algérienne. Ce qui laisse peu de doute sur l’identité de la partie qui est derrière.

Les médias algériens croient savoir que la délégation marocaine présente en Israël est composée précisément de 12 membres, contre 6 pour celle française et un nombre indéterminé d’Israéliens. «L’heure est grave. Il ne s’agit plus de la creuse rengaine de « la main de l’étranger », mais de faits réels et potentiellement dangereux pour la stabilité du pays. Cette mystérieuse réunion de Tel-Aviv a regroupé des membres influents du Mossad, cinq responsables des services de renseignement français ainsi que douze responsables des services marocains», écrit L’Expression.

Autre «précision», les médias algériens expliquent que quatre wilayas ont été ciblées par ledit plan de déstabilisation. Il s’agit des deux plus importantes villes de la Kabylie (Tizi-Ouzou et Bejaia), ainsi que des deux plus grandes villes du pays (Alger et Oran). Ce tri n’est pas anodin puisque ces quatre grandes agglomérations ont pour point commun d’avoir été, de 2019 à 2021, l’épicentre et le cœur battant du Hirak, mouvement populaire de contestation que le régime algérien appréhende comme un volcan toujours incandescent, dont l’éruption peut lui exploser à la figure à tout moment.

«On s’aperçoit que le modus operandi évolue et que le trio France-Maroc-Israël cherche maintenant à passer à l’action directe en Algérie, en actionnant les résidus du FIS, les nervis de Rachad et les racistes du MAK», résume le site du général Khaled Nezzar.

La Tunisie également citée

Les armes supposées utilisées par le Maroc, Israël et la France dans cette prétendue œuvre de déstabilisation de l’Agérie sont «le dénigrement systématique des institutions et du système de gouvernance, l’intox et les fake news sur les réseaux sociaux pour susciter la colère sociale. Tous ces éléments visent à déstabiliser le pays et à affaiblir sa capacité de défense».

Les journaux algériens allèguent également que la Tunisie aura sa part de déstabilisation à travers une opération qui consiste à «réinventer un autre printemps arabe plus violent…, créer des vagues de protestations et une série de troubles afin de fragiliser et d’isoler le président Kaïs Saïed», selon Elkhabar. Le nom de code de cette opération de déstabilisation de la Tunisie est même divulgué. Il s’agirait du mot «Loup», une référence pointant du doigt la France qui utilise souvent des noms d’animaux sauvages pour baptiser ses opérations, secrètes ou non.

Bon, laissons de côté la teneur abracadabrante de la réunion secrète entre le Maroc, la France et Israël. Le régime algérien n’étonne que ceux qui ne le connaissent pas. Et en termes de ridicule et de situations ubuesques, l’Algérie reste indétrônable.

Opération de diversion

Quand le régime algérien sonne l’hallali contre un ennemi extérieur, c’est toujours une situation intérieure qu’il vise. Il cherche soit à faire diversion sur une crise interne, soit à en attribuer la responsabilité à de supposés ennemis extérieurs. Les inondations qui ont fait suite aux dernières précipitations en Algérie ont généré une grogne inquiétante au sein de la population, abandonnée par le Système.

De plus, nombre d’Algériens sont scandalisés par les prix des moutons la veille de Aïd Al-Adha. Le prix minimum du mouton est de 50.000 dinars, dans un pays où le SMIG est à 20.000 dinars et le salaire moyen à 30.000 dinars. La hausse vertigineuse des prix des moutons peut générer des protestations très vives de la population, très attachée au sacrifice de l’animal le jour de l’Aïd. Le détournement d’une crise intérieure imminente par la main de l’ennemi extérieur est un disque rayé du Système.

L’élément le plus interpellant dans ce charivari médiatique, c’est la citation de la France. Le Makhzen et «l’entité sioniste» sont des ennemis convenus du régime algérien. Les relations diplomatiques ont été rompues avec le Maroc et n’existent pas avec Israël. Les chaînes publiques algériennes consacrent 10 minutes de propagande anti-marocaine dans leur JT, et cela tous les jours! Donc, que le Maroc et Israël complotent contre l’Algérie, c’est un pléonasme pour la junte.

La question énigmatique de la France

Reste la citation énigmatique de la France d’Emmanuel Macron. Le président français a multiplié les gestes d’apaisement en direction du pouvoir algérien, allant jusqu’à abîmer la relation avec l’allié traditionnel qu’est le Maroc. Pourquoi la junte accuse la France de comploter contre l’Algérie? C’est la principale question pertinente qui émerge du tohu-bohu médiatique relatif à la prétendue réunion en Israël.

La visite d’État en France du président Tebboune est annoncée pour la mi-juin, après avoir été déjà reportée une première fois au mois d’avril. La mi-juin, c’est demain. Et cela fait un peu désordre que Tebboune se rende dans un pays qui complote contre la stabilité du sien.

Par Mohammed Ould Boah
Le 31/05/2023 à 14h56