Il y a quelques jours, une information, pourtant d’une importance capitale, est passée quasiment sous les radars en France, alors même qu’elle en dit très long sur la réalité des rapports franco-algériens: la publication d’un décret au Journal officiel algérien, codifiant le protocole de l’hymne national du pays, «Kassaman», à la demande de Abdelmadjid Tebboune. Dans ce couplet, le troisième de l’hymne écrit par le militant indépendantiste Moufdi Zakaria en 1955, la France est nommément citée en tant qu’ennemi du pays.
Désormais, le décret signé par le président algérien prévoit donc que l’hymne sera joué dans sa version intégrale lors des «cérémonies officielles en présence du président de la République, mais également lors des visites des chefs d’État», alors que, rappelle le diplomate français dans sa tribune sur le quotidien Le Figaro, ce couplet hostile à la France «n’était maintenu que pour les congrès du FLN et pour l’investiture du président de la République», et n’était plus un sujet depuis quarante ans.
Face au silence assourdissant qui a accueilli cette annonce en France, Xavier Driencourt rappelle dans sa tribune l’histoire de ce couplet «assez largement critiqué pour diverses raisons, certains le trouvant trop ou inutilement agressif, d’autres, pas assez», et s’attelle à poser certaines questions déterminantes pour les relations franco-algériennes qui découlent de cette annonce.
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Ainsi, selon l’ancien directeur général de l’administration du Quai d’Orsay, il convient de savoir pourquoi ce couplet a-t-il été rétabli précisément aujourd’hui? Et «pourquoi ne pas laisser se poursuivre le compromis tacite du passage sous silence du troisième couplet?», interroge-t-il.
Fort de son expérience en Algérie et de sa connaissance de ce pays, pour y avoir été ambassadeur de France à deux reprises, entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020, Xavier Driencourt rappelle qu’en Algérie, «rien n’est laissé au hasard» et que dès lors, «on peut imaginer que ce choix est tout sauf anodin».
Un timing mûrement réfléchi
Ainsi, apporte le diplomate en premier élément de réponse à sa question, le timing de cette annonce est à prendre en considération. En effet, étaie-t-il, «publier ce décret présidentiel le lendemain du troisième report de la visite officielle en France du président Tebboune, au moment où le même chef d’État choisit de se rendre à Moscou en pleine offensive militaire, peut être interprété comme un nouveau signal de mauvaise humeur vis-à-vis de Paris».
Il y a ainsi fort à parier que «cette initiative intervient après les polémiques suscitées en France, comme en Algérie, par l’idée de renégocier ou de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration», analyse l’auteur de «L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger» (Éditions de l’Observatoire, 2022).
Mais à y voir de plus près, cette annonce somme toute hostile à la France ne date pas de la remise en cause de cet accord sur l’immigration, dont Xavier Driencourt, l’ancien premier ministre Édouard Philippe et de nombreuses figures politiques françaises se sont fait les porte-voix depuis plusieurs semaines. Car Alger multiplie les «gestes négatifs» depuis plusieurs mois déjà. Xavier Driencourt en veut pour preuve, «les virulentes critiques à l’encontre des soi-disant « barbouzes » ayant « exfiltré » Mme Amira Bouraoui, le rappel -le deuxième en moins d’un an- de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, le remplacement systématique du français (le fameux «butin de guerre» célébré par l’écrivain Kateb Yacine) par l’anglais, y compris en présence du président français».
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Une succession de gestes d’inimitié à l’égard de la France que Xavier Driencourt qualifie de «bouderie diplomatique» qui jamais ne s’apaise, et ce malgré «les gestes amicaux de la France», «les initiatives du président de la République en faveur d’Alger depuis son voyage d’août 2022, malgré aussi ce « pari algérien » fait par la France et qui la brouille avec Rabat», déplore l’auteur de la tribune.
Gêner Paris à tout prix pour maintenir la rente mémorielle
Xavier Driencourt juge ainsi qu’«en remettant le troisième couplet dans le débat politique, les autorités algériennes ont délibérément rouvert un débat qui n’avait pas lieu d’être» et ne voit dans ce geste qu’une seule raison: «la volonté de gêner Paris».
Dès lors, il est fort envisageable, ironise le diplomate, «que la visite d’État du président algérien désormais programmée à l’automne» sera reportée sine die, et se télescopera, pourquoi pas, «avec le débat parlementaire sur l’immigration» et occasionnera alors un quatrième rapport…
Et de conclure par un constat sans appel: en réintégrant l’hymne national algérien dans le débat politique, le pouvoir en place démontre «que la « rente mémorielle » reste bien l’alpha et l’oméga du système algérien». Quant à la France qui «croit que ses gestes apaiseront Alger», celle-ci «finira par se demander si le jeu en vaut la chandelle…», pressent Xavier Driencourt.