Distiller des éléments de langage par le président Macron aux médias, une pratique qui n’épargne pas le Maroc

Le président français Emmanuel Macron prend part à un dîner offert par le président algérien Abdelmadjid Tebboune au Palais présidentiel à Alger, le 25 août 2022.. AFP or licensors

Un article du journal Le Monde publié le 10 février semble avoir un seul objectif: rassurer le régime d’Alger sur le «tropisme algérien» du président Emmanuel Macron et son opposition à faire évoluer la position de la France sur le Sahara atlantique. Cet article, truffé d’éléments de langage vraisemblablement fournis par l’Elysée, rappelle une pratique, secrète mais bien assumée, du président français.

Le 13/02/2023 à 14h52

Deux jours avant la première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, qui a eu lieu le 19 janvier dernier dans plusieurs villes de la France, le président Emmanuel Macron a déjeuné dans le plus grand secret avec une dizaine d’éditorialistes politiques. Objectif de cette réunion secrète: fournir aux journalistes des éléments de langage.

Au menu de ce déjeuner: servir les orientations du président Macron. Et cela n’a pas raté. Des médias mainstream comme Le Monde, Le Figaro, France Inter, BFM TV, RTL, Les Echos et France Télé, invités à ce déjeuner confidentiel, ont repris d’une seule voix les éléments distillés en «off» par Emmanuel Macron. La règle du off, c’est que rien de ce qui sort de la bouche du président français ne doit être sourcé en le citant avec des guillemets. Ce que Macron a fourni aux journalistes a été rapporté sans lui être attribué.

Comme l’a écrit le chroniqueur Daniel Schneidermann, les journalistes «privilégiés» invités au déjeuner secret se transforment en «porte-paroles» du président Macron. Et de dénoncer «la réduction des journalistes au rôle de perroquets du pouvoir».

La rédaction en chef, discrète mais bien assumée par le président français, est une marque patente de la Macronie. Réunissant les ambassadeurs de la République française le 1er septembre 2022, Macron les a exhortés à «utiliser le réseau France Médias Monde» pour «faire face aux narratifs russe, chinois ou turc». C’est le premier président de la cinquième République qui appelle aussi ouvertement à l’utilisation des médias par l’appareil de l’Etat pour faire valoir la ligne politique présidentielle.

Si Macron rassemble secrètement des journalistes à l’Elysée pour leur dicter la conduite à suivre sur un sujet de politique intérieure, n’en fait-il pas autant pour la politique extérieure? Un article publié le 10 février 2023 par Le Monde porte la marque de la bonne parole distillée par l’Elysée. Bien évidemment, la pratique du «off» utilisée par les dossiers de politique intérieure se mure en «super off» quand il s’agit de politique extérieure.

Qu’on en juge: l’article du Monde est supposé analyser la nouvelle brouille entre Paris et Alger, suite à l’exfiltration depuis la Tunisie de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui qui a suscité une réaction hystérique de la part du régime d’Alger, amplifiée par le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. Pourtant, à lire entre les lignes, l’article est parsemé de bout en bout par la parole macronienne à l’adresse de la junte algérienne. Dans cette affaire bilatérale, qui ne touche ni de près ni de loin le Maroc, des éléments de langage vraisemblablement dictés depuis l’Elysée sont placés pour rassurer la junte d’Alger sur le «tropisme algérien» de Macron.

«L’ampleur géopolitique» opérée par Emmanuel Macron au Maghreb

D’abord, il est question de «l’ampleur géopolitique» opérée par Macron. On apprendre ainsi «le lourd investissement d’Emmanuel Macron sur un rapprochement avec l’Algérie est un dessein s’inscrivant dans la longue durée. Le genre d’ambition –d’ampleur géopolitique– auquel on ne renonce pas aisément, quelles que soient les difficultés du moment.» En effet, ce que Le Monde qualifie de «tempête actuelle» «ne devrait pas bouleverser les fondamentaux de l’approche présidentielle du Maghreb, cette ligne de crête assumée entre un pari algérien tourmenté et la préservation d’une relation avec le Maroc jadis privilégiée, mais aujourd’hui rétrogradée». Et puis, toujours à l’adresse de la junte, dans les éléments distillés au Monde, on constate «le désamour qui s’installe durablement entre Paris et Rabat, dégât collatéral du tropisme algérien d’Emmanuel Macron».

Et le quotidien d’évoquer des pressions de Rabat sur Paris en vue de faire évoluer sa position sur le Sahara. Et l’un des messages cruciaux soufflés par l’Elysée dit de façon claire que «Paris ne semble guère disposé à faire évoluer sa position sur le sujet, à savoir la qualification du plan d’autonomie marocain datant de 2007 comme “une base sérieuse et crédible” à une future solution politique». Ainsi, c’est à travers un article, dont la fin assignée est de rassurer la junte sur le «tropisme algérien» de Macron que nous apprenons que ce dernier ne fera pas bouger la position de la France sur le Sahara occidental.

Au-delà d’une presse donneuse de leçons sur son indépendance et qui est en réalité servile, ce qu’il convient de retenir sur la vocation macronienne pour la rédaction en chef, ce sont les étonnantes ressemblances sur le traitement du dossier des retraites qui ont émaillé les médias conviés au déjeuner confidentiel avec le président français et les articles à charge contre le Maroc.

Quant au «tropisme algérien» de Macron, Le Monde aurait pu en faire l’économie. Alors qu’un conflit armé entre l’Algérie et le Maroc est possible, le président français a reçu à l’Elysée le chef d’état-major de l’armée algérienne. Le timing de cet honneur fait au chef d’une armée qui cherche à agresser le Maroc montre que Macron a choisi son camp.




Par Wadie El Mouden
Le 13/02/2023 à 14h52