La chute de Bachar al-Assad accentue l’isolement de l’Algérie

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueSi le changement de régime à Damas pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans les relations avec Rabat, la chute de Bachar al-Assad consacre plutôt l’isolement stratégique d’Alger et sa perte de toute capacité d’influence au Moyen-Orient. Quant au mouvement séparatiste, qui a longtemps bénéficié du soutien de la Syrie, il perd un allié important.

Le 12/12/2024 à 16h00

La chute de Bachar al-Assad est la fin d’un règne de vingt-quatre ans et celle aussi d’une dynastie, son père ayant dirigé la Syrie depuis trente ans (1970-2000). «L’histoire est dynamique», pour reprendre la formule de Mao Tsé Toung. Elle est cette fois passée par Damas, laissant entrevoir, pour la première fois depuis des décennies, une frêle lueur d’espoir. Un séisme régional et même international: l’incertitude est générale.

Le Maroc a réagi, le lundi 9 décembre courant, par la voix de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse tenue en marge de son entretien à Rabat avec Raila Amolo Odinga, ex-Premier ministre du Kenya et candidate au poste de président de la Commission de l’Union africaine au prochain sommet de l’organisation continentale, en février 2025. Il a déclaré à cette occasion que le Maroc est prêt à soutenir «toute solution politique qui garantirait les droits du peuple syrien tout en préservant sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire», que «le Royaume, sous les directives de SM le Roi Mohammed VI, a toujours adopté une position claire: celle de la préservation de l’intégrité territoriale, de la souveraineté nationale et de l’unité du peuple syrien». Dans cette même ligne, le Maroc exprime l’espoir de voir ces évolutions récentes contribuer à «instaurer une stabilité durable pour le peuple syrien, répondre à ses aspirations légitimes et ouvrir la voie à un avenir meilleur».

Telle est bien d’ailleurs traditionnellement la position du Royaume à l’international et en particulier en direction du monde arabe. Au Maghreb, depuis l’éclatement du conflit inter-libyen post- «Printemps arabe», le Maroc s’est rangé aux côtés du peuple libyen et a appuyé les efforts de l’ONU pour mettre fin à ce conflit. À ce titre, il faut rappeler que le Royaume a abrité les pourparlers politiques inter-libyens finalisés par la signature de l’accord de Skhirat, en décembre 2015, en vue de la mise en place de nouvelles institutions nationales. C’est cet accord qui, pour les Nations unies, constitue une base commune et un cadre politique approprié dans une phase transitoire. Au Yémen, Rabat a entrepris plusieurs tentatives de médiation pour la résolution de la crise. En Irak, la qualité des relations bilatérales a été préservée, le Maroc maintenant sa position constante d’appui à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de ce pays.

En direction de la Syrie, les rapports ont été empreints de cycles de tension alternés avec des actes d’hostilité. Le Maroc a toujours plaidé pour une transition politique. Il a ainsi abrité, en décembre 2012, la Conférence internationale des amis de la Syrie. Une position qui s’inscrit dans la volonté de restaurer la paix, l’intégrité territoriale et la dignité du peuple syrien. Au Liban, ces mêmes principes prévalent. Avec la Palestine, le Maroc a toujours assumé son rôle de défense de la cause palestinienne, SM le Roi, président du Comité Al-Qods, consacrant celle-ci au même rang que la question nationale du Sahara.

Pour ce qui est des leviers de renforcement de la coopération interarabe, ce sont les principes de solidarité qui sont priorisés, avec la nécessité d’un engagement ferme en faveur des causes arabes. Le Maroc met en exergue à cet égard la promotion de la paix, de la sécurité et de la prospérité. Il appelle à une vigilance accrue face à la menace terroriste, en mettant à contribution son approche multidimensionnelle.

«L’Algérie se voulait un “pays pivot”. Elle n’a plus de capacité d’influence ni en Afrique, ni au sein de la Ligue arabe, ni au Moyen-Orient, et encore moins sous d’autres latitudes.»

À l’endroit du Maroc, la Syrie, depuis les années soixante-dix du siècle dernier, avait une hostilité idéologique. Il faut y voir le référentiel du parti Baas. Damas a soutenu une composante de l’opposition marocaine à l’étranger. La tension est revenue avec la reconnaissance par ce pays de la prétendue RASD, en avril 1980. Elle s’est ensuite accentuée à la suite de la visite au Maroc de Shimon Pérès, alors Premier ministre d’Israël, et sa rencontre avec le roi Hassan II. Hafez al-Assad et Mouammar Kadhafi font une déclaration commune pour dénoncer ce rendez-vous diplomatique. C’était là la position du front du refus arabe, regroupant la Syrie, l’Irak, la Libye, le Yémen du Sud et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Six ans après, le roi Hassan II effectue une visite officielle à Damas. Il détourne sa visite dès son arrivée, à la suite d’un incident protocolaire, en rendant hommage aux centaines de Marocains des FAR dans un cimetière aux environs de la capitale syrienne. Un contingent qui avait été envoyé au Golan des mois avant la guerre d’octobre 1973.

Le changement de régime à Damas peut-il ouvrir de nouvelles perspectives dans les relations avec Rabat? Le Maroc attend le retrait, ou à tout le moins la suspension de la reconnaissance du mouvement séparatiste et la fin du soutien diplomatique et logistique. Qu’en est-il maintenant de l’Algérie? Dans un communiqué en date du mardi 10 décembre, son ministère des Affaires étrangères «réaffirme la position constante de l’Algérie, gouvernement et peuple, et sa solidarité absolue avec la Syrie, pays frère, face aux menaces terroristes qui guettent sa souveraineté, son unité, son intégrité territoriale, sa sécurité et sa stabilité». Les médias algériens parlaient, eux, d’«agression terroriste».

Cela dit, entre la Syrie des Assad et l’Algérie de Tebboune et de ses prédécesseurs prévaut un référentiel partagé. L’on a parlé de deux «républiques-sœurs» avec tous les paramètres partagés: idéologique, militaire, avec l’ossature centrale des régimes, soutien de l’ex-URSS et de la Russie de Poutine aujourd’hui, altérité avec le projet islamiste des Frères musulmans et un régime autoritaire, voire dictatorial… L’Algérie a d’ailleurs apporté un grand soutien diplomatique et stratégique à Bachar al-Assad («retour» au sein de la Ligue arabe en mai 2023 au sommet de Riad, «activisme» pour le rapprochement avec les Émirats arabes unis et Bahreïn, vote favorable en sa faveur au Conseil des droits de l’Homme à Genève à 9 reprises, actions humanitaires, médiation avec la Turquie…).

Le changement de régime à Damas traduit une nouvelle reconfiguration géopolitique au Proche-Orient. Elle se dessine de manière de plus en plus accentuée sous l’influence d’acteurs étatiques extérieurs à la Ligue arabe (Iran, Turquie et Israël), et ce, avec des préfigurations de ruptures fortes et non maîtrisables. Malgré la régression de Daech, force est de constater que la menace terroriste et les risques de déstabilisation demeurent préoccupants. L’Algérie va accuser un isolement stratégique. Elle se voulait un «pays pivot», selon le discours officiel, elle n’a plus de capacité d’influence ni en Afrique, ni au sein de la Ligue arabe, ni au Moyen-Orient, et encore moins sous d’autres latitudes.

Quant au mouvement séparatiste, qui a longtemps bénéficié du soutien de la Syrie (où il avait une représentation), il perd un allié important avec la chute du régime al-Assad. Ces derniers jours, 30 éléments du Polisario ont été arrêtés à Alep, 130 autres en formation ont été identifiés, auxquels s’ajoutent quelque 400 miliciens qui avaient rejoint les forces gouvernementales syriennes. Les nouvelles autorités syriennes, sous la conduite du leader du groupe armé islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), Abdou Mohammed Al-Joulani, annoncent une «nouvelle ère» pour le peuple syrien. Celle-ci commande aussi une mise à plat, au plan interarabe en particulier, marquée du sceau d’une normalisation avec les États de la région. Le Maroc, pour sa part, est en veille vigilante. Il appréhendera d’une manière conséquente les actes des nouveaux dirigeants de Damas.

Par Mustapha Sehimi
Le 12/12/2024 à 16h00