Le naufrage alimentaire de l’Algérie

Bernard Lugan.

ChroniqueEn réalité, l’Algérie consacre aujourd’hui plus du quart de ses recettes en hydrocarbures, ses seules recettes, à l’importation de produits alimentaires de base dont elle était pourtant exportatrice avant 1962.

Le 22/10/2024 à 11h01

En 1962, l’Algérie était autosuffisante et exportatrice de productions agricoles. Aujourd’hui, elle n’exporte plus d’oranges, alors qu’avant 1962, ses exportations en étaient de 200.000 tonnes. Elle n’exporte plus de tomates, de carottes, d’oignons, de haricots verts, de petits pois, de melons, de courgettes, etc. Avant 1962, les primeurs algériennes débarquaient à Marseille par bateaux entiers, notamment les pommes de terre nouvelles, dont les exportations annuelles oscillaient entre 500.000 et un million de quintaux. Sans parler des 600.000 quintaux de grains et des 700.000 de semoule, des légumes secs ou des dattes, et même des figues sèches dont l’Algérie exportait environ 120.000 quintaux par an. Toujours avant 1962, l’Algérie exportait 100.000 hectolitres d’huile d’olive et 50.000 quintaux d’olives, tandis qu’aujourd’hui, la production nationale ne permet même pas de satisfaire la demande locale.

Aujourd’hui, les importations d’aliments qui pourraient être produits sur place atteignent des sommes considérables. Elles se chiffrent en moyenne en millions de dollars pour les céréales, semoule et farines (+- 550 millions), pour le lait et les produits laitiers (+- 300 millions), pour les sucres (+-1.600 millions), pour les légumes secs (+-90 millions), pour les huiles (+- 42 millions), pour les viandes et autres (+- 400 millions).

En réalité, l’Algérie consacre aujourd’hui plus du quart de ses recettes en hydrocarbures, ses seules recettes, à l’importation de produits alimentaires de base dont elle était pourtant exportatrice avant 1962. Ainsi, de ses besoins annuels de blé, qui sont de 11 millions de tonnes, elle devra importer 8,5 millions de tonnes en 2024, la dernière récolte n’en ayant produit que 3 millions de tonnes.

«Les filières stratégiques pour la sécurité alimentaire de l’Algérie, comme les céréales, les laitages, les viandes, les sucres et les graines oléagineuses sont aujourd’hui en faillite.»

Le secteur de la viande est également sinistré. L’Algérie se voit donc contrainte d’en acheter de colossales quantités à l’étranger après s’être résignée à lever l’interdiction sur l’importation des viandes blanches et rouges. Une mesure censée encourager les producteurs nationaux dans la création d’une filière locale compétitive, mais qui, notamment en raison de la corruption, a abouti à un désastre, avec une hausse des prix insupportable pour la population. Le prix du kilogramme de viande de bœuf atteint désormais 2.700 dinars (18,5 euros), devenant ainsi inaccessible même aux classes moyennes. Quant au poulet, son prix dépasse aujourd’hui les 500 dinars le kilogramme (3,40 euros), alors qu’il était de 300 dinars (2 euros) il y a quelques années encore.

Et pourtant, des montants astronomiques ont été dépensés en soutien aux éleveurs. En vain, puisque, même libérés pendant plusieurs années de la concurrence de l’importation, les producteurs locaux n’ont pas été capables de donner naissance à une filière autonome. Tout au contraire même, car l’arrêt de l’importation a débouché sur une pénurie engendrant de scandaleux profits, les producteurs et les intermédiaires en ayant profité pour augmenter les prix de façon scandaleuse.

Les filières stratégiques pour la sécurité alimentaire de l’Algérie, comme les céréales, les laitages, les viandes, les sucres et les graines oléagineuses sont aujourd’hui en faillite. Pour les deux dernières, l’Algérie dépend même à 100% de l’importation… alors que, depuis plusieurs décennies, les autorités annoncent régulièrement le lancement d’une production locale à travers un programme de priorité nationale.

Tôt ou tard, les Algériens poseront donc deux questions au «Système» qui dirige le pays depuis le coup d’État de juillet 1962: «Pourquoi ce naufrage»? Et «où sont donc passés les milliards de milliards de la rente des hydrocarbures»?

Par Bernard Lugan
Le 22/10/2024 à 11h01