L’histoire aurait connu une toute autre évolution si la tentative d’alliance entre ces deux grands monarques que furent Moulay Ismaïl (1645-1727) et Louis XIV (1638-1715) avait abouti. La tentative se fit pourtant. Au-delà des légendes, la volonté de rapprochement entre le roi «Très Chrétien» et le «Commandeur des Croyants» est connue par une correspondance relativement abondante et par des projets de traités. Mal traduits et mal interprétés, ils ont conduit à une incompréhension suivie d’un réel ressentiment.
L’échec de cette tentative d’alliance met en évidence les contradictions fondamentales entre les priorités définies alors par les deux royaumes. La France recherchait ainsi l’alliance de Moulay Ismaïl, à la fois afin que les navires français ne soient plus la cible des corsaires de Salé, et pour combattre les pirates turcs d’Alger. Le Maroc attendait pour sa part un appui militaire de Louis XIV pour lutter contre les Espagnols installés à Sebta et à Melillia.
Pour Moulay Ismaïl, la course était une affaire licite et légitime, tandis que, pour Louis XIV, il s’agissait tout simplement de piraterie. Si les deux souverains ne parvinrent pas à conclure une alliance, ce fut donc d’abord en raison de la course salétine. Voir à ce sujet une précédente chronique intitulée «Du nouveau sur la course salétine», et dans laquelle je cite la belle thèse soutenue en 2003 à l’Université de Lyon III par Malika Abouelouafaa où, contrairement à ce qui fut longtemps écrit, l’impétrante démontre que la mer a toujours joué un rôle important au Maroc.
L’émergence d’une politique maritime marocaine est en effet perceptible dès le 16ème siècle, sous le règne du sultan Mohamed ech-Cheikh (1544-1557) qui créa une flotte pour lutter contre les Espagnols. Mais la menace turque sur la frontière orientale du Maroc fit que le Maroc tourna tous ses efforts vers l’est.
Il fallut donc attendre l’arrivée des Morisques chassés d’Espagne pour voir la course salétine prendre une importance considérable même si, contrairement à ce qui est encore trop souvent écrit, cette dernière ne débuta pas avec l’installation des Morisques qui, sur les rives du Bouregreg, firent de Salé un quasi-État dans l’État.
Durant tout le 17ème siècle, la principale victime de cette course fut la France qui réagit par des campagnes de représailles sans lendemain. La position militaire de Salé était en effet bien différente de celle d’Alger, où la puissance des Barbaresques était en réalité limitée, Alger étant en effet une ville largement coupée de son arrière-pays, alors que Salé était adossée au puissant État marocain.
Maître du jeu, Moulay Ismaïl utilisa habilement la course salétine pour tenter d’attirer Louis XIV sur son propre terrain diplomatique, alors qu’il n’avait pas la volonté d’y mettre un terme. Cette activité, qui impliquait en effet la part la plus active et la plus dynamique de ses sujets, lui fournissait d’importants moyens financiers. La course salétine fut en réalité utilisée par le souverain comme un moyen de pression pour tenter d’attirer la France dans l’alliance marocaine.
Le maintien des activités des corsaires de Salé n’explique cependant pas à lui seul l’échec du projet d’alliance entre la France et le Maroc. Les vraies raisons tiennent d’abord à l’orgueil des deux Souverains, chacun étant certain de son bon droit. Elles s’expliquent ensuite et sans doute d’abord par le changement du contexte international, quand l’héritage de Philippe d’Anjou fit de la France l’alliée de l’Espagne et par voie de conséquence l’adversaire du Maroc.