L’échec des négociations franco-marocaines concernant les frontières du Maroc

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueÀ l’aube de l’indépendance de l’Algérie, les autorités françaises proposèrent au roi Mohammed V de «corriger» le tracé des frontières coloniales qui amputaient le Maroc.

Le 28/11/2023 à 11h01

Au moment des indépendances, le Maroc fut placé face à une situation à la fois insolite et intolérable. Il lui était en effet demandé, non seulement d’entériner la perte de ses provinces de l’est et du sud, mais plus encore, d’accepter qu’elles fussent offertes à des États créés par l’ancien colonisateur, alors que les populations qui y vivaient étaient culturellement, politiquement, économiquement, familialement et religieusement liées à lui.

À l’aube de l’indépendance de l’Algérie, les autorités françaises proposèrent au roi Mohammed V de «corriger» le tracé des frontières coloniales qui amputaient le Maroc.

Après la déclaration commune du 2 mars 1956 qui mit fin au Protectorat, la France proposa d’engager directement des négociations à ce sujet. Une Commission mixte franco-marocaine devait se réunir afin de revenir sur l’interprétation du traité de Lalla Maghnia de 1845 et des accords de 1901,1902 et 1910, ainsi que des tracés des lignes dites Varnier et Trinquet, ce qui aurait permis de régler les trois problèmes cruciaux de Béchar, de Tindouf et de la partie du Sahara occidental au nord du 24° parallèle. Nous savons aujourd’hui que la France était prête à rendre au Maroc Tindouf et la Hamada du Draa. Pour Paris, ce qui n’était en revanche pas négociable, c’est le polygone de tir de Reggane et sa région.

Ces négociations n’aboutirent pas, et cela, pour deux raisons:

- La première était que les restitutions territoriales proposées par la France devaient avoir pour contrepartie l’acceptation par le Maroc du projet de mise en valeur de l’ensemble du Sahara, alors français, par l’OCRS (Office commun des régions sahariennes) créé en 1957. Craignant pour sa souveraineté, le Maroc refusa, mais, avec le recul, il n’est pas interdit de penser que Rabat fit alors une erreur d’analyse. En y regardant en effet de plus près, cette association qu’était l’OCRS, qui ne remettait pas en question la souveraineté marocaine, aurait en effet eu pour résultat une reconnaissance des droits territoriaux marocains.

- La seconde raison, et je l’ai plusieurs fois mise en avant dans ces chroniques, était que le roi Mohammed V ne voulait pas négocier avec la France une rectification des frontières du Maroc «dans le dos des Algériens». Dans son livre «Le Défi», le roi Hassan II écrit ainsi:

«(…) étant bien entendu que l’Algérie nouvelle n’acceptera en aucun cas que le Maroc soit lésé au Sahara par les modifications territoriales imposées par la France. Un accord en ce sens est signé le 6 juillet 1961 à Rabat par le président Ferhat Abbas et moi-même, avec l’accord formel de M. Ben Bella» (page 68).

Or, l’Algérie indépendante a ensuite maintenu à son profit la continuité territoriale française.

Par Bernard Lugan
Le 28/11/2023 à 11h01