Les origines de l’appellation «Sahara occidental»

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniqueNé des desseins coloniaux français et espagnols, le terme «Sahara occidental» s’est imposé comme un outil de découpage géopolitique artificiel. À partir de cartes d’époque et de déclarations de hauts fonctionnaires coloniaux, il est important de comprendre et de décrypter les origines historiques, politiques et symboliques de cette appellation imposée désormais à l’ONU. Et de la démystifier…

Le 12/01/2025 à 10h12

La dénomination «Sahara occidental» résulte, avec un décalage dans le temps, d’une politique coloniale française qui a soustrait des territoires sous souveraineté marocaine, dans le but de créer un ensemble reliant l’Algérie française à l’Atlantique et aux territoires français d’Afrique occidentale.

L’appellation «Sahara occidental» constitue, à elle seule, l’une des clés permettant de mieux comprendre les enjeux et les ramifications du conflit imposé au Maroc. Cette dénomination devrait, en toute logique historique, inclure non seulement les régions du Sahara atlantique, au cœur de ce conflit artificiel, mais également celles du Sahara oriental marocain (aujourd’hui intégrées à l’Algérie) dont l’indiscutable marocanité est attestée par la majorité des cartes et documents produits à Dakar, Alger, Paris et Madrid. Cela souligne l’importance de l’absence du concept de Sahara occidental dans la littérature historique et juridique espagnole entre 1880 et 1975. La question de la décolonisation demeure en grande partie liée à la colonisation française et aux concessions territoriales faites en faveur de l’Espagne (Tarfaya et la Sâqiyya al-Hamra).

Comprendre la question du Sahara dit «occidental», c’est d’abord appréhender les modes de pensée et d’action des politiques coloniales et néocoloniales. Les militaires coloniaux procédaient principalement par des démarches de classification et de découpage des territoires conquis. Cet exercice, comme nous allons le démontrer, s’est particulièrement concentré sur les territoires du Sud marocain en raison de leur importance stratégique, située au carrefour des liaisons entre la colonie algérienne et celles de l’Afrique occidentale française.

De 1880 à 1920, les cartes du Sahara occidental couvrent un espace s’étendant du sud de l’Oranie jusqu’à l’Oued Noun, et du fleuve Sénégal jusqu’au nord du Mali. La dénomination «Sahara occidental» fut adoptée par l’Algérie française dès le début de la colonisation algérienne. Au Maroc, ce même Sahara est désigné comme oriental, englobant un vaste territoire qui inclut les Sahara occidental et oriental, ainsi que l’actuelle Mauritanie et le nord du Mali. En 1955, le concept de Sahara occidental fut appliqué à la partie nord de la Mauritanie. Après la suppression des confins d’Agadir, cette région fut intégrée à la Mauritanie.

La carte espagnole représentant le territoire marocain et les lignes de partage avec la France ne mentionne aucune dénomination de «Sahara occidental». Elle illustre les régions marocaines concédées à l’Espagne entre Tindouf, l’Oued Drâa et Agadir, tout en précisant de manière magistrale le statut juridique de chaque partie du Sahara. L’invention de la colonie de Rio de Oro (ou du Sahara espagnol), appliquée au Sahara marocain, ne repose sur aucun fondement juridique. Cette carte, approuvée par l’état-major espagnol, atteste que les territoires concédés à la France entre 1900 et 1912 étaient définis comme des zones de protectorat.

Jusqu’en 1955, voire 1975, le Sahara occidental portait le nom de Rio de Oro, utilisé par les Espagnols pour dire que les trois territoires relèvent de la colonie alors qu’en réalité il s’agit de trois territoires distincts: 1-Le Maroc méridional (Tarfaya), 2-la zone d’influence (La Sâqiyya al-Hamra dépendant du Maroc selon le traité de 1895) et enfin 3-la colonie de Rio de Oro (selon le traité signé entre l’Espagne et des cheikhs de tribus).

Mais comment l’appellation «Sahara occidental» s’est-elle introduite dans les dictionnaires juridiques et géographiques, notamment ceux des Nations unies? Pourquoi la France considérait-elle, jusqu’en 1960, le Sahara occidental comme étant l’«ouest saharien», dont le nord-ouest correspond à la commune de Tindouf? Elle précisait qu’il s’agissait d’un territoire situé à l’ouest du Sahara espagnol (in «Monographie de l’Ouest saharien, Commune de Tindouf» rédigée par le chef de cercle, capitaine Gaillard, ANOM, Aix-en-Provence, Fonds Territoriaux, 94B 114).

La première page de cette monographie précise: «Le Cercle administratif de l’Ouest saharien, dont le siège est à Tindouf, occupe la partie Nord-Ouest du Sahara occidental. Il a pour limite administrative a) A l’Ouest: la frontière avec le Sahara espagnol et la province de Tarfaya (ex. Maroc méridional cédé par les Espagnols en avril 1958)». Ce témoignage datant de 1960 ne peut rendre l’onomastique des deux territoires interchangeables.

Quel Sahara occidental et quelle décolonisation?

Vu le processus de la colonisation, et l’origine de l’appellation lancée depuis l’Algérie par les autorités coloniales françaises en 1880, ce territoire devrait englober au minimum le Sahara occidental et le Sahara oriental. Le problème du Sahara a été mal posé et l’ONU n’a fait qu’appliquer une appellation, spatialement réduite, à ce qu’elle appelle le «Sahara espagnol». L’erreur devient double puisque l’application du processus de la décolonisation du Sahara n’est pas une procédure légale. Le contexte des indépendances a rendu la voix du Maroc inaudible et consiste, stricto sensu, à récupérer les régions sahariennes concédées par Jules Cambon en 1900-1902 puis récupérées en partie par la France entre 1904 et 1912 comme le montre la carte espagnole et aussi la carte française. Le partage du Sahara dit espagnol en trois zones est le résultat du traité maroco-britannique de 1895 qui reconnait la marocanité du Sahara jusqu’à Boujdour.

Résultat: la France et l’Espagne vont presque effacer l’usage de la notion de Sahara occidental qui est resté en tant que telle appliquée uniquement à la colonie algérienne. Pour la Mauritanie et les Mauritaniens, cette partie s’appelle le «Nord» qui est désigné dans le parler Hassaniyya par le mot «Sahel» qui veut tout simplement dire Nord. La population du Sahara est appelée Ahl Essahel (les gens du Sahel ou les gens du Nord). Les Soudanais ou l’Afrique sahélienne, tout comme les populations du sud de l’Algérie, appellent le Maroc al-Gharb ou le pays du Sultan de l’Ouest:

L’identité marocaine des tribus du Sahara subira lourdement les conséquences des délimitations et des frontières arbitraires et surtout des tracés hérités selon deux critères incompatibles, d’une part leurs territoires de parcours anciens ou plus récents, d’autre part, les découpages administratifs projetés sur ces aires tribales.

Les mêmes populations tribales se sont ainsi découvertes, selon l’endroit où elles se trouvaient, comme dépendantes d’un cercle administratif ou d’un autre, en tous cas, relevant toutes de plusieurs administrations. Ces anomalies sont particulièrement évidentes dans les régions du Sahara occidental, dont les populations tribales appartiennent simultanément à la Mauritanie, à l’ex-Rio de Oro, à l’ancien protectorat espagnol de Tarfaya et au territoire de Tindouf occupé par l’Algérie. Le paradoxe est de constater que le conflit actuel du Sahara suit aujourd’hui les lignes tracées par les cartographes militaires de la colonisation, ignorant complètement la réalité historique et humaine de territoires aujourd’hui dépecés selon les anciennes circonscriptions des administrations coloniales.

Si le trait d’union entre Sahara occidental et Sahara oriental semble relever d’une obsession coloniale puis algérienne, il apparait que les théoriciens de la colonisation qui ont parcouru le Sahara du sud au nord ont été convaincus de la marocanité du Sahara. Le gouverneur André Bonamy qui fut chargé de l’étude de la jonction entre le Maroc et l’Afrique noire a défié toutes les autorités politiques et militaires en Afrique et en Hexagone. Voici donc la vérité formulée par un sage des questions sahariennes et africaines:

«Est-ce à dire que l’Algérie doive porter ses frontières vers l’ouest jusqu’au Rio de Oro et fermer ainsi au Maroc la route du Sud? Évidemment, non. Trop de questions politiques, économiques et aussi diplomatiques, je l’ai déjà dit, rendent le contact nécessaire entre l’A.O.F. et le Maroc.» Rapport A. Bonamy, 1924, ANOM. Aix-en-Provence, Gouvernement général de l’Algérie (G.G.A), Carton 8H40.

Le témoignage d’André Bonamy sur la réalité historique des liens entre le Maroc et l’Afrique noire montre que l’appellation Sahara occidental incarne les convoitises coloniales et ensuite algériennes à annexer le dernier territoire restant du Sahara occidental primitif et que cette appellation qu’on a substituée à l’appellation fallacieuse de Sahara espagnol n’a aucun sens tant au niveau géodésique, géographique et historique. Ce territoire ne peut être nommé occidental depuis le Maroc et aussi la Mauritanie. Pour parler du Sahara occidental, il faudrait se trouver à l’Est et donc en Algérie. La boussole de la colonisation du Maroc a été placée à l’est.

Par Jillali El Adnani
Le 12/01/2025 à 10h12