L’audace n’a d’égal que le simple effet d’annonce qui en fait le lit et sa totale absurdité. Ainsi donc, l’Afrique du Sud tente un retour désespéré sur le dossier du Sahara. Elle vient d’en apporter la démonstration en invitant Staffan de Mistura à Pretoria. L’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU s’y est effectivement rendu, comme l’a confirmé le porte-parole de l’ONU, mardi dernier lors de son briefing quotidien devant la presse. «L’Envoyé personnel du Secrétaire Général pour le Sahara occidental est en chemin vers l’Afrique du Sud, à l’invitation du gouvernement, pour des rencontres avec de hauts responsables et officiels sud-africains portant sur la problématique du Sahara occidental», a affirmé Stephane Dujarric.
Du contenu de ces rencontres, on en saura peu. C’est à peine si la ministre sud-africaine des Affaires étrangères a confirmé, pour sa part, s’être entretenue le même mercredi avec De Mistura. Des clichés immortalisant le moment ont d’ailleurs circulé.
La ministre s’est néanmoins contentée d’un commentaire laconique s’agissant de cette rencontre, parlant d’une discussion «utile» et d’examen de «quelques approches» sur le sujet, de «propositions» faites par l’envoyé onusien et d’un «besoin de temps» que demande Pretoria pour y répondre. Circulez donc, il n’y a rien à voir. En d’autres termes, Pretoria cache à peine sa déception. Mais c’est mal connaître son alliée de circonstances sur l’affaire du Sahara, l’Algérie. Les médias à la botte de la junte n’ont pas manqué d’en faire grand étalage.
Mieux: le rapprochement était tout trouvé entre l’invitation et la «victoire» remportée par l’Afrique du Sud à La Haye, où la Cour internationale de justice (CIJ) a demandé à l’État d’Israël un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
L’invitation a néanmoins de quoi étonner, l’affaire du Sahara étant définitivement sortie des mains de l’Union africaine (UA), derrière laquelle se cache Pretoria pour activer ses nuisances dans ce dossier. «Il se pose un sérieux problème de légitimité dans cette initiative. L’Afrique du Sud n’est ni membre du Conseil de sécurité ni présidente de l’Union africaine pour se saisir du dossier. Elle ne figure même pas parmi les pays amis du Sahara à l’ONU. Tout comme elle ne compte pas parmi les pays parties au conflit, ni même observateurs», énumère le politologue Mohamed Bouden, qui y voit autant de limites à tout rôle que peut jouer Pretoria dans le conflit.
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Ceci, d’autant plus que l’Afrique du Sud n’a jamais caché son hostilité envers le Maroc sur la question et qu’elle reconnaît la pseudo-RASD depuis 2004. «Elle ne peut donc que jouer un rôle extrêmement négatif dans la recherche d’une solution», déduit l’expert du dossier du Sahara. Pour lui, la finalité est ailleurs: en tentant un come-back, Pretoria essaie de rattraper un tant soit peu sa perte de vitesse vis-à-vis du Maroc sur la scène internationale. La dernière preuve en date n’est autre que l’élection du représentant du Royaume, l’ambassadeur Omar Zniber, à la présidence du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour l’année 2024. Ceci, au grand dam de l’Afrique du Sud et de son représentant Mxolisi Nkosi.
Une élection obtenue le 10 janvier dernier «à la faveur de l’adhésion d’un grand nombre de pays de toutes les régions du monde, et malgré la mobilisation de l’Algérie et de l’Afrique du Sud pour la contrer», avait précisé le ministère des Affaires étrangères pour l’occasion. Le résultat de ce vote est humiliant pour l’Afrique du Sud, qui n’a récolté que 17 voix alors que le Maroc en a recueilli 30.
S’agissant du Sahara, l’Afrique du Sud oublie que le règlement espéré est du ressort exclusif du Conseil de sécurité de l’ONU, et le Maroc l’avait souligné à maintes reprises. Dans une lettre envoyée, en mars 2023, à Antonio Guterres, l’ambassadeur permanent du Royaume à l’ONU, Omar Hilale, avait protesté contre les agissements de Pretoria. Le diplomate a notamment dénoncé le fait que l’Afrique du Sud soit devenue complice de l’Algérie et du Polisario. Il a également reproché aux Sud-Africains leur soutien idéologique aveugle au front séparatiste.
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Pour l’heure, le Maroc n’a pas encore formulé de réaction officielle, mais des voix s’élèvent pour dénoncer un geste qui, non seulement, n’a aucune raison d’être, mais est également une infraction tant au processus onusien de règlement de ce différend éminemment régional et des décisions de l’UA, qui se range définitivement du côté de la légalité internationale de l’ONU. Techniquement, un «mécanisme africain» a été mis en place pour aider les Nations unies à tenter une solution au conflit. Il est composé d’un «quartet» comprenant le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, ainsi que la «troïka» des chefs d’État africains, c’est-à-dire le président en exercice de l’UA, son prédécesseur et son successeur. Ainsi en avait décidé le 31ème sommet de l’UA, organisé en 2018 à Nouakchott, en Mauritanie.
C’est lors de ce sommet que le Conseil de paix et de sécurité (CPS), alors noyauté par l’Algérie et l’Afrique du Sud, s’est vu retirer la paternité continentale sur le dossier. Le Royaume, membre du CPS pour un mandat de trois ans (2022-2025), accède par ailleurs à partir de ce jeudi 1er février 2024 à la présidence de cet important organe décisionnel chargé de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent africain. Mais, «désormais, c’est au siège de l’ONU à New York, et non à celui de l’UA à Addis-Abeba, que les décisions sur le Sahara se prennent», précise le politologue.
Tout est de savoir pourquoi Staffan de Mistura accepte de mêler Pretoria au débat. «Refuser une telle invitation laisserait croire qu’il est du côté du Maroc, et De Mistura a toujours préconisé d’élargir les consultations sur le Sahara au plus grand nombre. Mais une chose est sûre: il ne tirera aucune conclusion de ses pourparlers avec ses interlocuteurs sud-africains. Au contraire, cela lui permettra de mieux se saisir du fond de leur pensée et leur alignement sur la thèse séparatiste», conclut Mohamed Bouden.