Comment écrire

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniquePierre Assouline vient de publier un livre magnifique sur les techniques d’écriture, intitulé «Comment écrire» (éd. Albin Michel). Il y présente les conseils, techniques et secrets des meilleurs écrivains français et étrangers.

Le 24/06/2024 à 11h17

Aux écrivains de ma génération, on pose souvent des questions comme «Comment écrire?», «Avez-vous une technique?», «Qu’est-ce qui vous inspire?», etc.

Plus j’avance en âge, plus je suis convaincu qu’il n’y a pas de réponse à ces questions, toutefois légitimes pour un jeune écrivain qui débute. Non, pas de technique, pas d’inspiration. Là, je reprends la réponse que j’attribue à Georges Simenon: «Pas d’inspiration, que de la transpiration».

Je le crois. C’est l’Américain Philip Roth qui disait: «N’attends pas d’être visité par l’Ange de l’inspiration. N’écris pas, tape!»

Unique chose fréquente chez la plupart des romanciers: l’observation. Un écrivain est quelqu’un en alerte, il voit la réalité et enregistre des faits, des incidents, des choses banales ou extraordinaires. C’est ce que Victor Hugo disait: «L’écrivain est témoin de son époque». Observateur et témoin. Deux fonctions nécessaires pour se mettre à table et écrire.

Établir un plan? Là, les méthodes divergent. Certains prévoient tout ce qu’ils vont écrire. Un plan aussi précis que celui d’un architecte. D’autres démarrent l’écriture sans savoir où cela va les mener. Je suis de la seconde catégorie.

Le plaisir vient du fait que je ne sais pas ce que je vais écrire le matin. Je me mets à ma table et j’attends que les mots viennent. Je suis chaque fois surpris et heureux de les voir se précipiter sous la plume ou sur le clavier de mon ordinateur. À une jeune poétesse qui demandait à René Char comment les mots lui viennent, il répondit: «Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même».

À chacun sa façon de raconter des histoires. Nous sommes tous des raconteurs d’histoires et le spectre des «Mille et une nuits» est là qui nous observe à son tour. On n’oublie pas que le principe de base de cet ouvrage monumental, écrit par plusieurs personnes anonymes, est: «Raconte-moi une histoire, ou je te tue». Toute nécessité littéraire est là. Écrire pour ne pas mourir, écrire contre la mort, écrire avec le temps, écrire parce qu’on ne peut pas faire autrement. Samuel Beckett à qui on posait la question «Pourquoi écrivez-vous?», il a répondu «Bon qu’à ça!»

Pierre Assouline vient de publier un livre magnifique sur les techniques d’écriture, intitulé «Comment écrire» (éd. Albin Michel). Il y présente les conseils, techniques et secrets des meilleurs écrivains français et étrangers.

Conseils de William Faulkner: «Ne soyez jamais satisfait de ce que vous avez fait. Rêvez et visez plus haut que ce que vous savez pouvoir accomplir… Tentez d’être meilleur que vous-même…»

Ce à quoi répond le mexicain Carlos Fuentes: «Ce qui fait un roman, c’est cette prise de conscience que le monde est plus vaste que nous.»

On se souvient du film «The Shining», de Stanley Kubrick (1980), où Jack Nicholson devient fou parce qu’il n’arrive pas à écrire un seul mot. Ce film, très angoissant, a donné des nuits blanches à des écrivains chevronnés. Il a réussi à taper sur sa machine cette unique phrase : «All work and no play makes Jack a dull boy» («Trop de travail et pas de jeu rendent Jack un garçon ennuyeux»). C’est le début de la folie.

La peur de la page blanche existe. Mais il faut apprendre à la dépasser. Il ne faut pas y penser. Stephen King a lui aussi connu une panne en écrivant «Le Fléau». Il a fait des marches en se demandant ce qu’il doit faire avec ses personnages. Au bout de quelques semaines, comme une lumière qui arrive soudain, il trouva la solution. C’est un travail aussi méticuleux et aussi exigeant que celui d’un diamantaire. Un texte ne doit pas souffrir d’impuretés et de choses qui n’ont rien à voir avec l’histoire.

Michel Tournier, nous apprend Assouline, ignorait tout de la page blanche. Truman Capote, angoissé de nature, la veille après avoir bouclé la dernière phrase d’un paragraphe ou d’un chapitre, écrivait la première de ceux du lendemain. Ainsi, il dormait sans problème.

Jean Genet me disait: «Quand tu écris, pense au lecteur, il faut t’arranger de ne pas le perdre en route; il faut le capturer et ne plus le lâcher…» C’est l’unique conseil littéraire qu’il m’ait donné. J’avoue qu’il m’a beaucoup servi. Je pense tout le temps à celles et ceux qui me liront. Pour les garder, il faut savoir les retenir par un bon style, par une forte intrigue, et se mettre à leur place. Si je m’ennuie, ils s’ennuieront aussi et laisseront tomber le livre.

Faire attention au style, quelque chose de personnel, car, comme disait Victor Hugo, «la forme, c’est le fond qui remonte à la surface». Malheureusement, on lit de moins en moins d’écrivains ayant un style bien à eux.

Céline disait qu’il y a un écrivain qui a un style par siècle! Il pensait à Marcel Proust et à lui-même évidemment. Avoir un style n’est pas à la portée de tout le monde. Mais on passe notre vie à le chercher, à la capter et à se confondre avec lui. Ceci est valable aussi bien pour un écrivain que pour un peintre ou un musicien. Être unique et singulier. Tel est le rêve de tout aspirant à la création.

Le style, c’est une voix. On l’entend quand on lit. Pierre Assouline donne l’exemple de Marguerite Duras: «On la reconnaît aussitôt par son rythme, sa scansion, son lexique, sa syntaxe, et une fois tous ces éléments conjugués, par le son que cela dégage».

Enfin, on apprend à écrire en lisant les classiques, en les relisant, en s’en imprégnant. Lire et relire, et, peut-être, on serait prêt pour se mettre à sa table et commencer à écrire, à imaginer, inventer et construire une histoire, bref, à devenir écrivain, avec un style, une voix.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 24/06/2024 à 11h17

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Un mot puis…un autre✨️ Dans son minaret tel un apôtre✨️ Il se laisse aller et dans ses réflexions il se vautre✨️ Pour raconte son histoire puis la notre✨️ Tel est la beauté d’écrire un livre✨️ Ou un poème qui enivre✨️ Qui chatouille nos cœurs qui nous rend ivre✨️ Qui nous fait chavirer puis revivre✨️ Dis moi ce que tu rêves d’écrire✨️ Écris mois ce que tu aimes me dire✨️ Une belle prose l’heure d’une joie ou d’une ire✨️ Je saurais partager songes et délires✨️ Larmes, rêves, livres et lumières✨️ Entre toi et moi pas ou plus de frontières✨️ Fais moi rêver, transcender ciel et terre✨️ Me plonger dans les profondeurs de tes océans et mers✨️ Dis moi un mot…puis un autre✨️

Il n'y a pas du " comment-écrire" qui tient. Plutot comment publier? et la publication est une question de marché plutot que de talent. Ecrire c'est avoir un style. Et les dernier grands écrivains francophones de style sont Céline du "Voyage au bout de la nuit", Romain Gary de la "Promesse de l'aube" et Sartre de "Les mots". Je parle, bien sûr , des dernières 100 années de la littérature française et francophone.

Monsieur Ben Jelloun, j'aimerais bien savoir si ceux et celles qui sont chargés de défendre les droits des MRE ont, au moins, lu votre livre " La plus haute de solitudes". Merci.

Bonjour Monsieur Tahar Ben Jelloun. On peut apprendre à écrire, comme on peut apprendre à peindre ou à jouer du piano, mais devenir un virtuose de la plume, un écrivain qui a un style, est une autre paire de manches. De quoi écrire, les histoires, il y en a partout. Les écrivains se comptent par milliers, mais comme disait Céline, c'est très rare un style, il y en a un, deux ou trois par génération. Le style Céline quant à lui, est oral, argotique, hors-norme, mais quel style, saisissant, ensorcelant! Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai lu "Voyage au bout de la nuit" et "D'un château l'autre", c'est un véritable voyage. Cordialement.

Apparemment le syndrome de la page blanche ne touche pas les hommes politiques en France. À chaque scandale d’accusation de recel d’abus de biens sociaux ou de viol, un homme politique publie un livre, plus de 500 pages d’épaisseur, pour rappeler sa présomption d’innocence, et qu’il faut laisser la justice effectuer son travail en indépendance. Rien qu’avec ça, il a le choix de grandes maisons d’édition. Il faudrait leur placer le bracelet électronique non pas au pied, mais à la main, pour les suivre dans ce qu’ils écrivent. Bref, pour écrire, il faut savoir baratiner et avoir l’art du baratin.

"Observateur et témoin. Deux fonctions nécessaires pour se mettre à table et écrire." Le problème, comme vous le savez M. Ben Jelloun c'est de savoir ce que l'on écrit. L'observateur regarde les choses avec ses propres lunettes quant au témoignage, le drame est que de plus en plus abordé comme une simple marchandise: on l'achète ou on le vend. A cela, on doit ajouter le poids des éditeurs et des libraires. Les œuvres des écrivains indépendants sont rarement édités.

Bravo! Mr benjelloun, en lisant cet article, j'ai bien compris pourquoi je me suis attaché à lire vos écris ( articles, romans...). C’est vrai que vous écrivez avec un style captivant.

Écrire, c'est savoir s'imposer, se connaître et exprimer sa pensée. L'écriture est une façon d'exposer ses idées et de raconter sa vie à autrui. L'écriture est une technique qui nous apprend à décrire l'histoire de notre passé vécu et promouvoir l'avenir.

Et la langue dans tout ça ?Est-elle neutre ? Étudiants dans les années 70,il nous arrivait d'assister à des débats (interminables) entre étudiants gauchistes. L'impression qui se dégageait est que les "camarades" communistes arabophones et les" camarades" communistes francophones n'ont pas lu et compris la même chose .Pourtant ,ils se référaient tous à la même théorie marxiste ! La langue y était-elle pour quelque chose ?

Bonjour Monsieur Driss. Chaque langue a ses figures de style telles que les métaphores, les ellipses, les paraboles, etc, Leur transposition dans telle ou telle langue, est toujours problématique. Cordialement.

Merci de nous avoir communiqué cet aperçu exhaustif sur la manière subtile d'écrire, je ne sais quel auteur qui a dit : l'écriture est le sperme noir qui assure l'identité qui assure et perpetue l'identité du peuple. Mais il faut tout de même de l'imagination, de l'inspiration...etc

Ah « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface, » disait Victor Hugo ? Au fait, il écrivait en posture debout. Il avait bricolé lui-même une écritoire à sa hauteur pour écrire confortablement debout. Il interdisait qu’on vienne le déranger dans son bureau pendant qu’il écrivait. Mais derrière son écritoire se cachait une trappe secrète par laquelle il faisait passer ses maitresses. C’était peut-être cela le fond qui remontait à la surface. Jusqu’au jour en 1845, un commissaire le surprend en flagrant délit d'adultère avec Léonie Biard, l’épouse du peintre François-Auguste Biard.

" Je n’ai jamais été un écrivain de la rapidité. Une page manuscrite est une bonne journée de travail. Trois pages sont un miracle". Chaque fois que je me retrouve confronté à l'angoisse de la page blanche, cette phrase du regretté Paul Auster vient à la rescousse pour me rappeler le lent et laborieux processus qu'est l'écriture. Je suis à ma première tentative de roman. Monsieur Benjelloun, j'ai dépassé la barre des 350 pages et j'avoue l'exercice autant angoissant que fascinant, et sa solitude déconcertante. Toutefois, en vous lisant, je suis heureux de découvrir que vous êtes de ceux qui négocient l'écriture en véritable casse-cou, même si je suis convaincu que vous usez là,de bienveillance afin de soulager le désarroi de rêveurs fous comme moi qui aspirent à suivre vos traces. Merci !

magnifique article sur les écrivains ou le journalisme. que du bon sens. je conseillerai actuellement DICKERT pour son style. alors que certains écrivent pour écrire.

Merci pour le conseil. Reste que faire avec une histoire singulière d' un vécu et sa manière de la bien transmettre en fond et en forme?

Il est temps de lui attribuer le prix Nobel de littérature, remarque, on l'a bien attribué au chanteur Zimmermann dit Bob Dylan. IA va tout remplacer, mieux elle va permettre de lever le voile sur toutes les tricheries des oeuvres et découvertes depuis des siècles. Il yen a qui tremblent à cette idée.

Ecrire , mais il faut avant trouver qui va lire. On s'est fâché et brouillé contre la lecture et les livres, un mur infranchissable s'est érigé entre nous. Dire à un enfant de lire un livre c'est comme le punir. Le faire à un grand c'est une insulte et manque de respect. C'est devenu rare de trouver quelqu'un dans un train , café, parc ou ailleurs une liseuse ou un livre à la main. c'est aussi rare que la neige à l'Oriental avec le réchauffement climatique. Il faut vraiment qu'on se réconcilie avec la lecture et les livres pour espérer demain voir de grands auteurs et des esprits éclairés. Autrement, la misère intellectuelle et à défaut le fastfood intellectuel ( YouTube et Tik Tok ) est notre hôte pour bien longtemps encore. Alors écrire , pourquoi faire ?

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