Non, le philosophe genevois n’est pas mystérieusement ressuscité dans les R’hamna et il ne s’agit pas non plus d’une école de la ‘Mission’ portant son nom qui aurait été inaugurée à Benguerir. Il s’agit d’autre chose. Il s’agit du Contrat social, dont j’ai l’impression qu’il n’a pas été suffisamment lu dans les environs.
C’est la réflexion que je me suis faite lundi dernier à la suite d’un incident somme toute mineur, mais néanmoins révélateur.
Acte 1
Or donc, ce matin-là, je sors de chez moi pour me rendre en voiture à l’université où m’appellent des affaires pressantes. Je n’ai pas roulé cent mètres que je suis obligé de m’arrêter brusquement, le frein enfoncé à fond, dans un crissement de pneu. La route est barrée: un mur blanc se dresse devant moi, qui coupe la route en deux. Impossible d’avancer.
Stupéfait, je sors du véhicule pour constater qu’il s’agit d’une gigantesque tente qui occupe tout le trottoir devant une villa et qui, sans vergogne, déborde largement sur la chaussée. Dans sa grande bonté, l’olibrius qui s’est ainsi approprié non seulement le trottoir -pourtant espace public- mais carrément la route, a laissé un minuscule passage pour les vélos ou les Fiat 600: mais pas plus.
Ce genre d’incongruités, il faut les voir pour les croire.
J’empoigne mon portable et avise les autorités locales qu’un type s’est emparé du domaine public et qu’il m’empêche ainsi d’aller à mon travail -et c’est le premier jour de Science Week, la semaine la plus importante de l’université!
«La loi, c’est la loi. Le choix est clair: on la respecte ou on la change. On ne peut pas vivre dans un clair-obscur, entre chien et loup.»
Six minutes plus tard, montre en main, un caïd (du type moderne: jeune, bien rasé, costume-cravate, parlant une langue riche et précise…) arrive à toute allure accompagné de 5 mokhaznis qui entreprennent de démonter la tente, et ce, malgré les protestations de son propriétaire sorti de la villa et qui explique que c’est pour un s’bou’ (un baptême) qui aura lieu vendredi prochain. Je peux enfin passer et aller sur le campus vaquer à mes occupations.
Acte 2
Au cours de la journée, j’ai l’occasion de raconter ma mésaventure à plusieurs reprises. Et voici ce qui m’a déconcerté: la plupart de mes interlocuteurs n’étaient pas indignés par l’annexion de la voie publique par un quidam souhaitant fêter à grand bruit l’arrivée d’un n-ième moutard sur la planète. À la limite, c’est plutôt ma réaction et l’appel à la force publique qui semblaient les indigner. Voici, en gros, ce qu’ils me disaient:
- On tolère tous ça parce qu’un jour ce sera notre tour de s’accaparer le trottoir et peut-être même la route pour fêter un mariage ou un retour de pèlerinage ou un baptême. Ce jour-là, ton gars n’aura pas le droit de râler vu que nous ne râlons pas aujourd’hui. Échange de bons procédés.
J’en suis resté baba. Et c’est là que je me suis souvenu de Jean-Jacques Rousseau et de cette fameuse phrase qui se trouve dans le Contrat social: «Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint (…); ce qui ne signifie pas autre chose qu’on le forcera à être libre.»
Cela demande explication. La voici: la volonté générale du peuple s’incarne dans la loi adoptée librement par ledit peuple. Par conséquent, refuser d’obéir à la loi, c’est contredire sa propre liberté. Être contraint d’obéir à la loi revient, paradoxalement, à recouvrer sa liberté.
Si nous excusons les violations de la loi sous prétexte qu’un jour, ce sera notre tour de la violer, alors nous ne sommes plus des hommes libres et le contrat social est rompu. Autant abolir les lois et retourner à l’état sauvage ou à cet état d’insubordination générale qu’on peut nommer anarchie ou siba, au choix.
La loi, c’est la loi. Le choix est clair: on la respecte ou on la change. On ne peut pas vivre dans un clair-obscur, entre chien et loup, où la loi existe, mais où on se met d’accord pour la violer chacun à tour de rôle.
Ce n’est d’ailleurs pas le meilleur exemple à donner à l’enfant qui vient de naître et dont il s’agit de fêter le s’bou’…
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