L’époux, résolu: Choufe, cette année, la fête chez Ma mère. L’épouse, courroucée: Kifache? On l’a passée l’année dernière! L’époux, irrité: Pas de calcul avec MA famille! L’épouse, offensée: Et MA famille? Tu m’as épousée maqtouâa mine chajra (branche sans arbre)! L’époux, scandalisé: TA mère est un lapin: 8 gosses. La mienne n’a que moi. L’épouse, déchaînée: Ou baqui ma fatmatèkche (non sevré).
MA famille, TA famille, se termine par chad lya naqta’lik.
Que faire? Être équitable. Une année chez mes parents et l’autre chez ses parents. Sans souplesse, les diversités culturelles provoquent des conflits.
Leila: «Ma belle-famille a des habitudes bizarres : chez nous, on prend un petit-déjeuner marocain avant le sacrifice. Eux attendent les brochettes de foie. Son père dit que le Prophète agissait ainsi !» «Ma mère accepte mon dégoût de l’odeur du mouton, pas ma belle-mère. Elle avait dit à mon mari “D’où t’as ramené cette femme? Mène Elmirikane (d’Amérique)?»
Rachid: «J’aime ma femme. Moderne, mais traditionnelle avec ma mère.» Son épouse me chuchote: «La première fête, je voulais leur prouver que je suis parfaite. Depuis, sa mère fait sa crise de sciatique toutes les fêtes!»
Dans les familles, il y avait une hiérarchie sous l’autorité du patriarche et de la mère, gardienne des traditions. Aujourd’hui, les relations familiales se démocratisent, l’individu s’impose. Les mères sont écartelées entre des rituels traditionnels et les caprices des enfants, même adultes.
Beaucoup d’enfants rejettent les plats de cette journée. Les mères préparent, la veille, d’autres plats. Une tension supplémentaire. Sinon, pendant qu’elles triment entre le nettoyage du sang et des tripes, les brochettes et le brasero, elles supportent les plaintes. Certaines font appel aux livreurs: fast-food, pizzas, sushis, tacos…
Noufissa: «On a passé la fête chez mes parents. Mes enfants sont traumatisés à l’idée qu’on tue une bête pour la manger. Je leur ai fait livrer des hamburgers. Mon père, furieux: “C’est quoi cette éducation! Vous allez en faire des mécréants.” La tornade approche. Mon mari, rouge, sourcils froncés: “Tout, sauf insulter mon éducation. Vous oubliez qui est ma famille.” Mon père: “Mes enfants mangeaient tout. Lafchouche! Vous gâtez trop vos enfants!” Ma mère, sentant le danger, appelle mon père et le sermonne. Moi, je sermonne mon mari.»
Une pauvre maman: «Outre la corvée, je me transforme en pompier pour éteindre les débuts d’incendies entre mes brus, mes filles, mes gendres… Épuisant !»
Karima, drôle: «J’ai invité mes parents et mes beaux-parents pour la fête. Je te jure, un spectacle de Gad El Maleh. Désaccord sur le sacrifice. Pour mon père, il faut attendre le sacrifice accompli par le Roi. Mon beau-père conteste. Le pauvre boucher est assommé par les instructions de mon père, mon beau-père, ma mère. Recouvrir la carcasse du mouton. Non, la laisser sécher à l’air libre.
Les hommes ont terminé leur mission. Ils se reposent en attendant d’être servis. Commence celle des femmes. Le délire. Prise de tête sur des détails insignifiants. Chacune des mères veut imposer ses habitudes, prouver que “chez nous, on fait mieux. On est une race supérieure…”
Le foie ne doit pas trop cuire. Noooon, pas de paprika. Chez nous ça se fait. À la campagne, pas en ville… Je sentais venir la foudre. Ma belle-mère: “Pourquoi, nous sommes des ‘roubis?” Ma mère: “Koulla ouaslou (chacun ses origines)!” Je pense: “Mama âaaafak, ferme-la!” Wili, pas d’olives dans douwara. On sert d’abord les hommes. Quoi? On n’est pas des esclaves. On découpe un peu de viande du gigot pour les brochettes. Ma mère, choquée: “Haram. Le Prophète ne coupait le premier jour que l’épaule droite”. Ma belle-mère: “Ce sont des khouza’bilates.” Je tourne la discussion à la rigolade.
Ma belle-mère à mon mari: “Coupe un peu de gigot pour elgaddide (viande salée, séchée)”. Ma mère: “Awwah ! Vous faites encore ça?” Mon mari, pour faire za’ma moderne devant ma mère: “Maman, arrête avec tes âadate diale laouhouche (habitudes de sauvages)”. Réponse de sa mère, au bord des larmes: “Yac awaldi. La sauvage t’a mis au monde et nourri avec ces sauvageries”. Éteindre l’incendie! Je fais des câlins aux deux mamans, fusille mon mari du regard et lui fais signe pour qu’il en fasse de même. Sauvés !»
Fin de la corvée. C’est le moment où les femmes se changent: ôter ces kachabates de Marrakech à 40 dirhams, couleurs arc-en-ciel, que beaucoup de ménagères gardent pour les journées de chqa. C’est ainsi que les femmes appellent le ménage en arabe: tanachqa, corvée douloureuse. Significatif!
Se changer pour recevoir et échapper aux mauvaises langues de certaines: yakhti, elle est nééégligée le jour de la fête alors que ses placards vont exploser!
Wafaa: «Ouf, on s’assoit enfin. Les visiteurs arrivent, mais pas en même temps. Mon papa chéri: “Ramène le petit-déjeuner, le thé et les brochettes”. Réchauffer lahrira et msémène, rallumer le charbon, griller les brochettes… Wakwaaaak!»
Les jours suivants? Wafaa: «Parents et beaux-parents tiennent à ce qu’on s’attaque avec eux au mouton, jour et nuit! S’éclipser provoque colère et vexation!»
Mina (81 ans), vit avec son époux (près de 90 ans) et sa sœur (82 ans): «Bkiiite ‘la lbotoire abaneti!» Mina a supplié son mari de confier le mouton aux abattoirs. Pour 240 DH, des professionnels s’en occupent. «Sa sœur et moi sommes fatiguées. Mais il a refusé. Selon lui, le Prophète dit que c’est moul addar (chef de famille) qui doit égorger le mouton et le sang doit couler dans la maison.» Aberrations transmises par de pseudo-religieux que l’on devrait museler!
Noufissa: «Malgré ma détermination à ne plus vivre ce calvaire, je recommence l’année d’après.» Masochisme? Non, sages compromis entre générations pour conserver un minimum d’harmonie familiale.