Après une longue période de suspens, on connaît le nom du Premier ministre chargé de former le prochain gouvernement de la France. Si la politique étrangère -restant domaine réservé du chef de l’État selon la constitution gaullienne- n’est pas directement concernée par la rupture promise par Barnier, le profil et le long Curriculum Vitae du doyen des chefs de gouvernement de la 5ème République peuvent-ils néanmoins influencer la diplomatie française?
Sur la forme, indiscutablement, le style Barnier est à rebours des usages du nouveau monde… et aucun des reproches pouvant circuler à l’étranger à l’encontre des décideurs français, particulièrement en Afrique, ne sied au personnage. Il ne pèche ni par arrogance -«Vous ne m’entendrez jamais dire « ceux qui ne sont rien »», tonnait Michel Barnier alors en campagne contre le président sortant, en 2022- ni par inexpérience évidemment: son itinéraire dans la France d’en bas (la Savoie), d’en haut (quatre fois ministre, notamment des portefeuilles de l’Environnement, de l’Agriculture et des Affaires étrangères), et d’ailleurs (deux mandats de commissaire européen puis un titre de négociateur du Brexit) lui assure le CV le plus fourni des acteurs politiques…
Des compétences interculturelles rodées par son parcours d’eurocrate -sans doute le seul élu français à ce point familier des cultures européennes- mais pas uniquement! Natif des Alpes, il a toujours décliné son gaullisme par une certaine idée du Grand Sud. Au début des années 80, alors benjamin de l’Assemblée nationale, il appelle à des réformes structurelles nécessaires au dialogue Nord-Sud, et porte concrètement un projet novateur de création d’une force française d’intervention humanitaire. En mai 2004, lors d’un déplacement à Rabat comme chef de la diplomatie française, il met en garde sur un possible glissement du centre de gravité de l’Europe du fait de l’élargissement, appelant les dirigeants du Sud à «faire tout de suite l’effort d’aller dire qui ils sont et ce qu’ils sont aux pays d’Europe centrale orientale ou baltique», et reste aujourd’hui encore fidèle à l’Orient le plus compliqué, siégeant au Conseil de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Du talent, pour quoi faire? Européaniser nos positions… Tel est son mantra, en politique en général, et en diplomatie en particulier; avec une conviction pouvant virer à l’incantation, l’Europe puissance! «Les intérêts stratégiques américains, même s’ils se déplacent vers l’Asie, restent importants au Proche et au Moyen-Orient, notamment en raison des questions énergétiques. Les intérêts russes le sont aussi dans toute l’Afrique. Ne soyons pas naïfs. Voilà pourquoi je pense que les Européens ont désormais intérêt à parler d’une même voix en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient.» Effectivement, ne soyons pas naïfs; admettons que l’Europe ne puisse parler d’une seule voix sur tous les sujets régionaux, tant la politique étrangère des États membres reste dictée par leurs intérêts nationaux, leur histoire et leur géographie. Mais soit! Donnons à Barnier le crédit de son œcuménisme, et gageons que sa grande proximité avec nombre de dirigeants européens -du socialiste portugais Costa, prochain Président du Conseil européen, au Premier ministre hongrois Orban- et ses qualités de négociateur éprouvées pendant plus de quatre ans, passés à devoir convaincre tout autant les 27 que les Britanniques pour aboutir à un accord de 1.246 pages, seront fort utiles pour porter dans l’UE la position française sur la marocanité du Sahara.
Tout aussi précieux sera de voir comment la méthode Barnier des «petits pas» -somme d’années de marche en montagne et du legs de Jean Monnet- pourrait inspirer l’évolution des relations entre les pays du Maghreb. Entendue par le Premier ministre français comme une perspective positive aidant à surmonter les tensions entre Rabat et Alger, assortie d’une analogie audacieuse avec le marché communautaire et la réconciliation franco-allemande, elle lui fait dire que «l’idée de mutualiser certains outils du développement économique, comme les transports, l’agriculture, les douanes, à travers un marché commun maghrébin serait un vrai levier créateur de progrès. Ce serait une perspective suffisamment forte pour encourager l’Algérie et le Maroc à se mettre autour d’une table». Un enthousiasme à tempérer, certainement: d’une part, ce n’est pas l’Europe qui a créé la paix, mais c’est la volonté de paix entre Européens qui a permis la construction du marché communautaire; et d’autre part, il faudrait déjà qu’Alger démontre une attitude plus positive vis-à-vis des accords commerciaux, en commençant par cesser de saborder celui qui la lie aux États de l’UE!
«L’effet Barnier» en Méditerranée? Du potentiel, des questions, notamment sur les évolutions de la politique migratoire, et une certitude: la politique étrangère de la France ne sera étrangère ni à la manière dont les deux têtes de l’exécutif feront vivre leur «coexistence exigeante», ni à la durée du bail du locataire de Matignon…