Les relations entre la France et l’Algérie ont atteint un niveau de tension tel que certains envisagent la rupture de leurs relations diplomatiques comme une issue naturelle de leur bras de fer. Alger, qui s’entête à refuser d’accueillir ses citoyens expulsés par la France, refuse également de libérer l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, allant jusqu’à requérir contre lui une peine de dix ans de prison. Le régime a poussé encore plus loin le bouchon en remettant en cause la propriété du parc immobilier détenu par la représentation française en Algérie. Paris reste pour sa part pour sa part ferme dans ses menaces et ses exigences, mais se trouve jusqu’à aujourd’hui confronté à un épais mur de résistance.
La récente sortie médiatique du président algérien Abdelmadjid Tebboune, où il identifie Emmanuel Macron comme unique interlocuteur du régime algérien, pourrait laisser croire à un début de détente. «Pour ne pas tomber dans le brouhaha ni le capharnaüm politique là-bas, je dirais seulement trois mots: nous, on garde comme unique point de repère le président Macron (… ) Il y a eu un moment d’incompréhension, mais il reste le président français et tous les problèmes doivent se régler avec lui ou avec la personne qu’il délègue, à savoir les ministres des Affaires étrangères entre eux», a-t-il dit.
Au regard des positionnements des uns et des autres, il paraît clair qu’il n’y avait aucune communication officielle entre les deux parties, à l’exception des communiqués du ministère algérien des Affaires étrangères et des sorties médiatiques des responsables français. La crise algérienne est devenue tellement présente dans les médias français qu’elle y écrase allègrement deux grands événements internationaux que sont la guerre israélienne contre Gaza et le grand deal entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur l’Ukraine.
Cette crise s’est aussi taillé la part du lion dans le débat politique interne français, jusqu’à reléguer au second plan un événement politique français majeur, en l’occurrence le retrait de certains partenaires sociaux du conclave imaginé par François Bayrou pour résoudre la question de la réforme des retraites. Pourtant, ce sujet avait fait souffrir puis tomber les gouvernements précédents et provoqué un des plus grands blocages politiques du second mandat d’Emmanuel Macron.
Une particularité du débat français sur l’Algérie. L’extrême gauche, incarnée par La France insoumise (LFI), s’est emparée de cette nouvelle bataille algérienne avec une distinction majeure: elle épouse sans complexe les positions d’Alger et diffuse ses éléments de langage même les plus irrationnels. Cette gauche a trouvé en cette crise une opportunité de mener sa bataille politique contre le gouvernement Bayrou et les choix de son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Pour affaiblir un gouvernement, quoi de plus normal que de traiter au chalumeau son ministre de l’Intérieur, même si cela épouse ouvertement les obsessions du régime algérien.
En effet, depuis le début de cette crise, Alger travaille un mode de communication qu’elle pense pouvoir la prémunir d’une rupture totale avec la France. Le régime algérien veut faire croire à son opinion que la discorde avec Paris n’est pas le fruit d’une réelle divergence politique susceptible d’aller crescendo jusqu’à la rupture diplomatique entre les deux pays. Elle serait la résultante exclusive d’une haine obsessionnelle de l’extrême droite française nostalgique de l’Algérie française.
Cette vision pousse le régime d’Alger à faire une fixation totale sur la personnalité de Bruno Retailleau. Et le message qu’il adresse à Paris est que si ce ministre emblématique quittait le gouvernement, de nombreuses ouvertures seraient possibles, notamment dans l’acceptation des ressortissants algériens placés sous OQTF.
«Dans le cas de Boualem Sansal, le régime algérien semble adopter une stratégie d’escalade à travers un procès stalinien, qui pourrait cependant être sanctionné par une grâce présidentielle, unique manière de ne pas perdre la face.»
Quant au cas de Boualem Sansal, le régime algérien semble adopter une stratégie d’escalade à travers un procès stalinien qui pourrait cependant, selon les vœux de beaucoup, être sanctionné prochainement par une grâce présidentielle, unique manière de ne pas perdre la face. L’écrivain a été arrêté, emprisonné et jugé, mais ensuite gracié par Abdelmadjid Tebboune. Les plus optimistes attendent ce geste à l’occasion d’une prochaine fête religieuse ou nationale.
Le cas Sansal a été au centre de la dernière intervention d’Emmanuel Macron sur le sujet. Lui, dont le discours est d’habitude si précautionneux dans le bras de fer avec le régime algérien, en a appelé à «la clairvoyance» du président Tebboune pour trouver une issue rapide à ce drame. Il paraît politiquement inimaginable que le régime d’Alger puisse rester sourd à cette sollicitation, d’autant plus que l’emprisonnement de Boualem Sansal devient avec le temps un fardeau extrêmement lourd.
Les relations franco-marocaines ont aussi été évoquées par le président Tebboune, avec cette stratégie «d’un pas en avant suivi de trois pas en arrière». Si, pour la première fois, Tebboune annonce que l’amitié entre la France et le Maroc ne le dérangeait pas, banalisant au passage le soutien de la France à la marocanité au Sahara, il se dit en revanche outré par le côté «ostentatoire» des visites de responsables français comme Rachida Dati et Gérard Larcher au Sahara.
Difficile à croire, eu égard aux réactions hystériques antérieures: le président algérien ne remet pas en cause le fond de la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, mais appelle de ses vœux à une forme de discrétion dans la manifestation de cette reconnaissance. Ce qui est une manière de produire un message d’apaisement à destination de Paris. L’appel du pied de Tebboune en direction du président Macron suffira-t-il à tourner la page de la plus grave crise entre l’Algérie et la France depuis 1962? On peut en douter.
Les relations entre Paris et Alger ont franchi un degré de tensions qu’il est difficile d’imaginer d’autres scénarios que deux pistes. Ou le régime algérien revient au réalisme de la politique et de la diplomatie, comme il l’avait fait avec l’Espagne après une grande brouille, et tente donc par tous les moyens de trouver des solutions aux points de divergences entre Alger et Paris, notamment sur la question migratoire et le cas Sansal; ou bien il se prépare à entamer la pente glissante de la rupture des relations diplomatiques avec Paris. De nombreuses voix ont appelé les autorités françaises à se préparer à cette hypothèse, qui serait lourde de conséquences autant en Algérie qu’en France.
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