Les dirigeants algériens ont décidé d’ériger à Oran une statue d’Abd el-Kader. Haute de 42 mètres, elle dominera la ville, et, de son sabre, sortira un rayon laser qui indiquera la direction de La Mecque. Coût estimé: 8 millions d’euros. Il n’en fallait pas moins pour honorer ce grand personnage que les médias algériens qualifient d’«Unificateur de l’Algérie».
Un singulier «unificateur», cependant, qui, au mois de mars 1871, depuis Damas où il vivait en exil, dénonça l’insurrection berbère de Mokrani en ces termes: «Nous prions le Tout-Puissant de punir les traîtres et de confondre les ennemis de la France.»
Derrière le mythe de l’histoire officielle, et sans aucune volonté de dénigrer ce grand personnage, ce noble combattant, voyons cependant si Abd el-Kader peut effectivement être présenté comme l’«unificateur» de l’Algérie.
Abd el-Kader, Abd al-Qadir ibn Muhyi al-Din, naquit à Mascara en 1808 et mourût à Damas en 1883. Il appartenait à la tribu arabe des Hachem se rattachant à la lignée chérifienne des Idrissides, qui furent les fondateurs du premier État marocain au 9ème siècle. Il descendait donc du Prophète, comme les Alaouites qui règnent au Maroc.
Cette réalité mérite d’être soulignée, car son père, Muhyi al-Din, était le khalifa du sultan du Maroc à Tlemcen et un opposant au pouvoir turc, qui, par deux fois, en 1818 et en 1824, le condamna à la prison.
Présenter, comme le fait l’histoire officielle algérienne, Abd el-Kader comme l’«unificateur» de l’Algérie ne correspond pas à la réalité, car l’Algérie était alors «un non-concept». De plus, dans son fief territorial, l’actuelle Oranie, il eut contre lui plusieurs grandes tribus locales, dont les Douera et les Smela, ainsi que la confrérie Tijani. Sans parler des Kouloughli de Tlemcen ralliés aux Français.
La première véritable guerre d’Abd el-Kader contre les Français se termina le 30 mai 1837 par la Convention de la Tafna. Par cet accord, Abd el-Kader reconnaissait à la France la possession d’Alger et d’Oran. Paradoxe: il abandonnait donc Oran à l’ennemi, ville où va précisément être érigée la statue censée illustrer sa résistance!
À l’automne 1839, Abd el-Kader reprit les hostilités. Ayant proclamé le jihad, la guerre sainte, il tenta alors d’attirer à lui les Kabyles, mais ce fut un échec. Ses émissaires envoyés dans la région de Vgayet (Bougie-Béjaïa), à Akbou chez les Aït Yala, ainsi que dans la vallée de la Soummam furent éconduits. Lors de l’assemblée de Boghni, la tradition rapporte même que les Iguechtoulène et les représentants de plusieurs autres tribus auraient montré aux envoyés de l’«unificateur» un plat de plomb, le fameux «couscous noir», signifiant ainsi que les Kabyles ne voulaient pas de sa guerre.
Le 22 décembre 1847, après une très belle résistance, traqué par les colonnes mobiles françaises, ayant vu ses forces se réduire comme neige au soleil, Abd el-Kader se rendit au général Lamoricière, avant de faire sa soumission au duc d’Aumale le 24 décembre. Le combat d’Abd el-Kader dura donc dix ans, de 1837 à 1847, n’impliqua qu’une petite partie des tribus de l’actuelle Algérie. Une réalité qui illustre une fois encore la grande originalité de l’Algérie de l’époque qui est l’absence de fait «national».
Les honneurs de la guerre lui ayant été rendus, le duc d’Aumale s’engagea à rendre sa liberté à Abd el-Kader afin qu’il puisse se retirer au Levant.
La 2ème République bientôt triomphante ne tint pas les engagements de la Monarchie et Abd el-Kader fut enfermé à Toulon, ensuite à Pau et enfin au château d’Amboise. Libéré par Louis Napoléon, il fut officiellement reçu à Paris, visita la cathédrale de Notre-Dame de Paris et s’y recueillit. Il demanda et obtint de pouvoir se retirer au Moyen-Orient. Après un séjour en Turquie, il s’installa à Damas, où, en 1860, lors d’une émeute, il protégea avec sa garde plusieurs milliers de chrétiens que les Turcs voulaient massacrer. Il mourut à Damas en 1883.