Voilà bien une nouvelle donne politique au Portugal, au lendemain des élections législatives du dimanche 10 mars. Le corps électoral de près de onze millions d’électeurs inscrits était appelé à désigner les 230 membres du parlement monocaméral, l’Assemblée de la République. Le parti d’extrême droite Chega («Assez»), dirigé par André Ventura, est le grand vainqueur de ce scrutin avec 18% des suffrages, contre 7% en 2022, et le quadruplement de sa représentation en sièges qui passe ainsi de 12 à 48 députés. Le Parti socialiste du Premier ministre Antonio Costa a reculé, lui, de 13 points, à 77 sièges (28,66% des bulletins), perdant sa confortable majorité de 120 membres. Quant à la coalition de centre droit, l’Alliance démocratique, emmenée par Luis Montenegro, elle est arrivée en tête (29,5 % et 79 sièges), mais avec une très courte avance. Un tel score ne lui permet pas de former une majorité absolue d’au moins 116 élus, même en se coalisant avec un petit parti libéral arrivé en quatrième position, comptant 5% des suffrages et 8 sièges.
Ces élections anticipées ont été décidées par le président Marcelo Rebelo de Sousa, le 9 novembre dernier, après la démission du Premier ministre ébranlé par un scandale de corruption après huit ans à la tête du gouvernement. Depuis trois ans, la justice avait en effet ouvert une enquête sur de présumées irrégularités dans l’attribution de deux concessions d’exploitation de mines de lithium, dans le nord-est du pays, et d’un site de production d’hydrogène vert dans le port industriel de Sines. Le bilan du cabinet socialiste traduit l’assainissement des finances publiques, une croissance de 1,8% et un taux de chômage au plus bas de 6%, mais aussi une hausse de l’inflation, la dégradation de la situation dans les hôpitaux et les écoles et une crise du logement.
Quelle sera la majorité au lendemain de ces élections? L’Alliance démocratique s’était engagée pendant la campagne à ne pas former un gouvernement avec le soutien de l’extrême droite. De son côté, le parti d’extrême droite s’est dit «disponible» pour donner «un gouvernement stable au Portugal» au sein d’«une majorité forte de droite». Mais avec quels alliés? Après le départ de Costa, le Parti socialiste s’est regroupé autour de Pedro Nuno Santos, un ancien ministre de son aile gauche, qui a annoncé que son parti irait dans l’opposition, et qu’il ne ferait pas obstacle à la formation d’«un gouvernement minoritaire de centre droit» tout en restant réservé sur le vote de son prochain budget.
Au cours de la campagne, le chef de l’opposition de centre droit a promis de réduire les impôts, d’améliorer les services publics et de soutenir la croissance. «Nous sommes prêts à commencer à gouverner» et «changer de politique», a déclaré Luis Montenegro, concédant que «la mise en œuvre de (leur) politique devra passer par le dialogue».
Avec ce scrutin parlementaire du 10 mars, c’est la fin de l’exception portugaise par rapport à la progression de l’extrême droite dans les démocraties européennes. La formation Chega a repris les thématiques classiques de cette mouvance -immigration, mise à l’index des minorités, dont la communauté musulmane-, mais elle y a ajouté la lutte contre la corruption, mettant en cause le Premier ministre sortant, Antonio Costa. À noter que sur une population de 11 millions d’habitants, les musulmans ne sont que 0,5% environ, des immigrés marocains, bissau-guinéens, mozambicains, indiens et pakistanais…
En Europe, pour rappel, trois gouvernements sont actuellement dirigés par des formations d’extrême droite. En Italie, la présidente du parti postfasciste Pères d’Italie a remporté les législatives en septembre 2022 avec 26% des suffrages. Elle est Présidente du Conseil des ministres, avec comme vice-président Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue du Nord (9%). En Slovaquie, Robert Pico est Premier ministre depuis octobre dernier, son parti populiste SMER s’étant allié avec les sociaux-démocrates du HLAS et le Parti national slovaque, une formation d’extrême droite. En Hongrie, Viktor Orban, qui revendique lui-même une «démocratie illibérale», est au pouvoir depuis 2010, à la tête d’une coalition dirigée par son parti Fidsz. En Finlande, le Parti des Finlandais est arrivé en deuxième position aux élections législatives d’avril 2023 (20%). Si le nouveau Premier ministre, Petteri Orpo, est issu du parti de la Coalition nationale (droite conservatrice), ce parti d’extrême droite s’est vu attribuer des portefeuilles importants (ceux de l’Économie, l’Éducation, les Affaires européennes, l’Intérieur et la Justice). Ailleurs, l’on a affaire à un schéma différent, celui de coalitions. En Espagne, le Parti populaire dirigé par Alberto Nunez Feijoo a noué des alliances pour certaines élections régionales avec le parti d’extrême droite Vox (12% aux législatives de juillet 2023). En France, c’est l’élection de 89 députés du Rassemblement national à l’Assemblée nationale qui est venue conforter les 43% de Marine Le Pen au second tour des présidentielles de 2022. En Allemagne, l′AFD progresse fortement, tant aux élections locales et régionales qu’au Bundestag (10 % et 83 députés).
En Autriche, l’extrême droite, portée par le FPO et présidée par Norbert Hofer (16% et 31 sièges) caracole aujourd’hui en tête des sondages en vue des législatives de septembre 2024. En Grèce, le parti Les Séparatistes a vu l’élection de 13 députés. Sans oublier, dans d’autres pays européens, le soutien au gouvernement, mais sans participation, de partis d’extrême droite comme en Lettonie et en Suède.
Le clivage traditionnel droite-gauche a perdu de sa pertinence. Lui succède un autre où l’extrême droite, jadis marginalisée, a fait sa place dans le système de partis. Une géopolitique de la peur, préoccupante, à tous égards.