Fin de l’intergroupe «Sahara occidental»: l’Europe tient ses promesses

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueReconduit d’une mandature à l’autre depuis plus de vingt ans, l’intergroupe «Sahara occidental» sort de la liste -attendue en décembre à chaque début de législature- de ceux définitivement validés par le Parlement européen. Une décision en cohérence avec l’ensemble des engagements, à trois niveaux distincts, des eurodéputés, des États membres, et collectivement, des institutions européennes.

Le 14/12/2024 à 09h58

Ce fut l’un des sujets les plus communément partagés en fin de 9ème législature: les eurodéputés étaient décidés à faire la chasse aux ingérences étrangères dans les affaires de l’UE. À ce titre, diverses mesures furent votées dans les derniers mois du mandat pour mieux protéger le Parlement européen des acteurs étrangers cherchant à influencer son travail, notamment sur proposition de la présidente Roberta Metsola, à destination des membres comme des pays tiers -parmi lesquelles la fin des groupes d’amitié.

Quant aux intergroupes, dont on savait, par leur définition de «lieu d’échanges de vues informels entre différents groupes politiques, ainsi qu’entre les députés et la société civile» et par leur fonctionnement, permettant d’accueillir, dans les locaux du Parlement, des représentants d’intérêts publics ou privés, qu’ils nécessitaient un contrôle particulier. Ils avaient été dès les origines dotés d’une codification particulière, à la fois dans le règlement intérieur du PE et dans un règlement ad hoc, de décembre 1999.

Les députés n’eurent donc pas besoin de modifier ces textes (sauf à la marge, en précisant que les intergroupes ne peuvent utiliser le nom ou le logo du PE -ce qui était, par ailleurs, aussi reproché à l’intergroupe «Sahara occidental»), mais simplement de les appliquer à la lettre, et dans l’esprit qui anime le fonctionnement des intergroupes, pour en en exclure -dès qu’il le fut possible- un intergroupe «Sahara occidental» mû, comme en témoignait sa composition partisane et l’inventaire de ses travaux, par la seule volonté de servir les thèses séparatistes du Polisario et de «mener des activités susceptibles d’affecter les relations avec les pays tiers» -en l’occurrence, le Maroc. En ce début de mandat, il était devenu compliqué pour les groupes politiques de l’assemblée -hormis les irréductibles soutiens d’Alger, The Left et Greens/EFA- et à Roberta Metsola d’assumer un tel groupement, lequel jetait une ombre sur la législation «anti-ingérences» du PE.

Quant aux États membres, c’est peu de dire que leur position vis-à-vis du Sahara a beaucoup évolué depuis décembre 2019, date du dernier parrainage de l’intergroupe «Sahara occidental». La dynamique des dernières années amène environ aux deux tiers, du Nord au Sud, et d’Est en Ouest, chacun selon son propre agenda, chacun avec ses mots, le nombre de pays de l’Union européenne ayant marqué leur intérêt ou engagement en faveur du plan d’autonomie proposé par Rabat.

«Deux grands pays, européens et méditerranéens, ont donné le cap, affirmant leur reconnaissance de la marocanité du Sahara de manière irrévocable.»

Et surtout, ces deux dernières années, deux grands pays, européens et méditerranéens, ont donné le cap, affirmant leur reconnaissance de la marocanité du Sahara de manière irrévocable. C’est, depuis mars 2022, le soutien fidèle du Premier ministre espagnol, envers et contre toutes les pressions de sa coalition gouvernementale, et de son partenaire économique algérien. C’est aussi, à l’occasion du jubilé de juillet 2024, le message épistolaire du président français au Roi du Maroc, selon lequel «le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine». Ainsi que la promesse, réitérée lors du voyage d’État de novembre dernier, selon laquelle «la France entend agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international». Nul doute que la loyauté de l’un et de l’autre, leaders des deux groupes politiques qui avaient en main le sort de l’intergroupe, a su s’exprimer en amont de la décision finale du Parlement européen.

Enfin, ce sont bien tous les acteurs institutionnels de l’UE qui ont eu à connaître, ces cinq dernières années, une détérioration continue et accélérée des relations avec Alger. L’Accord d’association est aujourd’hui très fragilisé par les mesures unilatérales prises par l’Algérie, au point que Bruxelles a dû déclencher une procédure de règlement des conflits, bien que «la Commission ne ménage aucun effort pour œuvrer à l’amélioration des relations commerciales et d’investissement avec l’Algérie, qui restent globalement très difficiles». Des droits de douane aux droits de l’Homme… c’est au Parlement européen qu’en mai 2023, a été adoptée massivement (536 voix pour, 4 contre) une résolution pointant la situation de la liberté de la presse considérablement dégradée, soulignant le cas journaliste Ihsane El Kadi, détenu arbitrairement et inculpé pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression, appelant les autorités algériennes à modifier les accusations liées à la sécurité dans le Code pénal utilisées pour criminaliser le droit à la liberté d’expression. Nihil mutatur si nihil mutes… Dix-huit mois plus tard, le nouveau Parlement est réuni pour dénoncer le sort réservé, sur les mêmes bases, à l’écrivain Boualem Sansal.

Dans ce contexte, et ce climat délétère, la non-reconduction de l’Intergroupe «Sahara occidental» ne doit pas être vue comme un coup de tonnerre, mais plutôt un coup de semonce des décideurs européens.

Par Florence Kuntz
Le 14/12/2024 à 09h58