La question des «séquestrés de Tindouf» est souvent citée ou exploitée par les historiens, loin des réalités historiques et géopolitiques qui ont entouré sa genèse. Tindouf elle-même, une ville annexée au nom de l’intangibilité des frontières coloniales, fait partie du tiers (1/3) du territoire marocain cédé à la colonie algérienne par la France entre 1845 et 1963. La présence militaire française y est d’ailleurs attestée jusqu’à la fin de la guerre des sables en 1963.
Après les récentes prises de position de l’Espagne et de la France sur la question du Sahara marocain, il convient de rappeler que ces deux puissances, bien informées du dossier, ont finalement assumé leur responsabilité dans le retard pris pour la réalisation de l’intégrité territoriale du Maroc. Les faits historiques sont là pour rappeler les stratégies coloniales de l’Espagne, de la France et surtout de l’Algérie.
L’accord secret entre l’Algérie, la France et l’Espagne
Les archives secrètes françaises, notamment celles du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), révèlent qu’en juin 1962, un accord secret entre la France et l’Algérie visait à maintenir une présence militaire française autour de Tindouf pour empêcher son ralliement au Maroc. Parallèlement, l’Algérie n’a cessé de manœuvrer, notamment avec le traité secret de 1961 signé entre le Maroc et le GPRA, et la déclaration ambiguë de Mohamed Khider, secrétaire général du bureau politique algérien, qui proposait une table ronde pour régler la question de Tindouf. Mais quelques jours plus tard, à Tunis, Khider nie avoir évoqué cette table ronde, tandis que l’Algérie commençait à se rapprocher des militaires espagnols de Sâqiyya El Hamra, dans la région d’El Mahbès.
Ces liens datent en effet de 1958 et ont été orchestrés par Houari Boumediene qui était encore installé à Nador, et qui bénéficiait du soutien financier et militaire du Maroc.
Dans une note du 22 octobre 1962, le ministre français des Affaires étrangères rapporte des faits autour de l’incident du 9 octobre qui a permis à l’Algérie d’annexer Tindouf: «La genèse de l’incident n’est pas claire, mais les autorités algériennes l’attribuent aux provocations des Reguibat. Il semble qu’à la suite de l’enlèvement par ces derniers de deux membres de l’ANP (Armée nationale populaire), les forces algériennes auraient décidé de passer à l’action dans la journée du 9 octobre pour déloger les Reguibat retranchés dans la maison du Caïd Senhouri (qui a déjà rallié le Maroc) où étaient, paraît-il, enfermés les soldats algériens et sur laquelle flottait l’emblème chérifien: un membre de l’ANP a été tué et il y a eu, au moins, cinq morts chez les Reguibat… Le colonel Boumediene a répondu à des journalistes “qu’il n’avait rien à dire” et l’on a ensuite déclaré, dans son entourage, que l’incident avait été démesurément grossi et que l’affaire était “classée [1]”».
Refaire l’histoire, c’est se demander quelle serait la situation aujourd’hui si la France n’avait pas maintenu son armée dans la région. Les documents du SDECE envisagent cette possibilité et rapportent le scénario suivant sur le 9 octobre 1962:
«Dans le cas d’un départ rapide des troupes françaises (qui ont déjà évacué le poste d’Oum El Achar commandant le passage du Drâa) après le vote du 1er juillet, et compte tenu des difficultés (surtout logistique) que rencontrera le F.L.N. pour implanter une solide garnison et structurer la population (de Tindouf), celle-ci a déjà manifesté son intention de ne pas participer au vote, et hissera sans doute d’elle-même, le drapeau chérifien».
Attachement des populations de Tindouf au Maroc
La France a déployé tous les moyens pour empêcher le Maroc de récupérer Tindouf, car cela aurait ouvert la voie à la reconquête des autres régions sahariennes. Après concertation avec l’Algérie et la France, les Espagnols ont adopté une position similaire. Selon les archives du SDECE, les autorités espagnoles «sont bien décidées à ne rien concéder aux Marocains et ont renforcé de 7.000 hommes le dispositif de leur sécurité».
L’autodétermination manifestée par les populations de Tindouf, en ralliant le Maroc et en refusant de participer au référendum sur l’indépendance de l’Algérie, ainsi que leur attachement indéfectible au drapeau marocain, ne constituent-ils pas la preuve que le conflit du Sahara est le fruit d’une conspiration orchestrée par l’Algérie, soutenue par deux puissances coloniales? Dès lors, la question du Sahara ne relève pas d’un processus de décolonisation, mais bien du résultat d’une alliance contre nature entre une ancienne colonie et des puissances coloniales.
Les allégations, fallacieuses, concernant l’absence de souveraineté marocaine sur le Sahara oriental s’effondrent face aux faits documentés. Les archives que nous citons ici ne représentent qu’une infime partie des kilomètres d’archives conservées dans les fonds de Dakar, Bamako, Aix-en-Provence, Nantes et La Courneuve.
Mais, pourquoi après les prises de positions espagnoles et françaises reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara atlantique, seule l’Algérie continue sur sa lancée mensongère, faisant de la lutte contre l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc, dossier le plus important de sa diplomatie, le sujet dominant de tous les médias publics et un poste budgétaire sans limites pour tenir en état de survie les séparatistes du Polisario?
Un retour sur les années 1963 et 1966 est nécessaire pour rappeler le slogan qu’arborait l’Algérie, se targuant d’être la «Mecque» des mouvements de libération.
Les événements maliens de 1963 fomentés par l’Algérie
En 1963, l’Algérie, cherchant à se forger un ennemi extérieur pour renforcer l’unité nationale alors que la Kabylie se rebellait contre la mainmise des officiers de l’armée des frontières, qui avaient accaparé le pouvoir en 1962, lança des attaques contre le Maroc, tuant des membres innocents des forces auxiliaires dans le sud. Parallèlement, l’Algérie a fomenté les événements de Kidal au Mali, encourageant une rébellion touarègue contre le gouvernement de Bamako. Ces événements, déclenchés le 2 octobre 1963, visaient à créer un État touareg, comme le proclamaient des tracts distribués à Bamako et à Niamey. Un rapport du SDECE du 18 octobre 1963 signale que l’armement des Touaregs provenait d’Algérie. Bien que l’armée algérienne «restait derrière les frontières», les armes transitaient librement. Ce qui était vrai en 1963 demeure pertinent en 2024: l’origine des armes utilisées par les séparatistes touaregs contre l’armée malienne et ses alliés est un secret de polichinelle.
En 1963, le général malien Soumare a rencontré le colonel Boumediene pour mettre fin à ces incidents frontaliers, étant donné que les rebelles trouvaient refuge en Algérie. Toutefois, il est toujours utile de signaler que pendant et après la guerre des sables, la France maintenait à Tindouf 250 soldats français qui ont quitté la ville en mars 1963 (note du SDECE, Archives de La Courneuve, Maroc 1956-1968, Carton, 148).
En 1966, l’Algérie proclame à Addis-Abeba sa volonté d’accéder à l’Atlantique
Il faut toujours rappeler à l’Algérie l’année 1966. En effet, le représentant algérien à Addis-Abeba déclare cette année-là que les 50.000 Bédouins du Sahara occidental ne peuvent réclamer une indépendance et que l’Algérie est intéressée par un accès vers l’Atlantique. On sait que cette position algérienne, en contradiction avec l’image et le rôle anticolonial que tente de jouer le régime d’Alger, s’explique par la signature d’un traité stratégique avec l’Espagne en vue d’une exploitation commune du fer de Gara Djebilet et des Phosphates de Boucraa. Sept ans plus tard (1973), l’Algérie fait la «découverte» d’un peuple sahraoui et trois ans après elle sera derrière l’invention d’un État fantôme.
De la séquestration des camps à l’élimination de El Ouali Mustapha Sayyed
Lorsque les autorités coloniales se sont trouvées impuissantes face aux zones dites d’anarchie, elles ont fini par s’approprier les réseaux, les axes de communication, ainsi que le savoir-faire des confréries et des sultans en matière de gestion des territoires et des relations transsahariennes. Pourtant, l’Espagne a persisté à rejeter la proposition marocaine de 1974 d’un recours à la Cour internationale de Justice pour établir les droits historiques du Maroc sur le Sahara atlantique. L’Espagne était pourtant bien consciente de l’usage de la Bey’a, acte d’allégeance au sultan, par des tribus sahariennes telles que les Ouled Dlim, les Azerguine et les Tekna, comme l’atteste le Bulletin officiel de 1947.
Le Sahara a toujours été administré et soumis à l’autorité politique marocaine (Lire les chroniques de Karim Serraj sur «Les actes administratifs et fiscaux du Maroc sur le Sahara «oriental» entre 1526 et 1900). Quant à Tindouf, ses populations ont, de tout temps, été approvisionnées par les marchés d’Akka, Tata, Asrir, Guelmim et Agadir. Les périodes de sédentarisation forcée, d’aides alimentaires, ainsi que l’essor des réseaux mafieux liés à l’immigration et au trafic d’armes, sont le résultat d’un État algérien qui a réussi à convaincre une partie des Sahraouis qu’ils étaient des étrangers, voire des réfugiés sur leur propre territoire.
El Ouali Mustapha Sayyed, l’un des fondateurs du Polisario, n’a pas hésité à s’opposer à cette politique algérienne, et ce, depuis 1976, en optant pour le retour des séquestrés vers leurs espaces de nomadisme. D’aucuns diront que c’était sa stratégie pour mener une guérilla qui s’appuie sur les populations nomades.
Mais la vérité est tout autre d’après l’ambassadeur français Guy de Commines à Alger, qui a constaté le limogeage de El Ouali par les services de sécurités algériens et son remplacement par El Mahfoud Laaroussi, nommé secrétaire général du mouvement, avant même le décès de El Ouali. Pour l’ambassadeur français: «à plusieurs reprises, des rumeurs sur une mésentente entre El Ouali et les autorités algériennes avaient couru à Alger».
Ce même ambassadeur n’a pas omis de dénoncer le «gonflage» des chiffres des séquestrés et surtout la falsification de leurs identités, puisqu’une majorité est d’origine algérienne, malienne et mauritanienne.
La séquestration des populations sahraouies par le régime d’Alger est dénoncée par ceux-là mêmes qui défendent le Polisario. Ainsi l’historien Jean Morizot, qui a de tout temps déploré les conditions inhumaines de la chasse aux nomades, en vue de créer des camps de séquestrés, conclut par ces phrases son article publié dans L’Afrique et l’Asie modernes en 1978:
«Ainsi, de ce court exposé, nous conclurons que les Sahraouis, ce peuple du désert, ne retrouvera jamais sa patrie perdue, que le combat qu’il mène pour sa libération est un combat sans objet et qu’il est d’autant plus illusoire de parler d’autodétermination que la libre consultation des intéressés apparaît impossible».
Et le même Morizot n’a pas manqué de pointer du doigt le paradoxe de l’alliance entre l’Algérie et le Polisario: «Le Polisario s’est d’ailleurs allié à l’adversaire idéologique le plus déclaré de la société nomade. Comme tous les pays riverains du Sahara, les Algériens, en effet, ont aussi leurs Sahraouis: les Chaambas et les Touaregs. On n’en entend plus guère parler. Bien entendu, le gouvernement algérien si soucieux des droits inaliénables des nomades du Sahara occidental n’a jamais reconnu à ses propres nomades le droit de s’autodéterminer. Vis-à-vis d’eux, sa position est très nettement hostile».
[1] Ministère des Affaires étrangères et Européennes, Archives de La Courneuve, Maroc 1956-1968, Carton 147.