En 1831, alors lieutenant, le futur général Louis de Lamoricière (1806-1865) écrivit à sa famille parlant des orientations politico-religieuses des habitants de l’Algérie:
«À Oran, ils font (la prière) pour le roi du Maroc; à Constantine, pour le sultan de Constantinople; à Alger, afin de ne pas se compromettre, pour celui qui marche dans la bonne voie». (Cité par Guiral, 1992: p. 116).
L’Ouest algérien reconnaissait donc l’autorité spirituelle du sultan du Maroc. Rien d’étonnant à cela d’ailleurs, puisqu’il y avait un représentant, un khalifat, qui, quelques années auparavant, était le propre père d’Abd el-Kader.
Comme de son côté, l’Est algérien était tourné vers le sultan d’Istanbul, nulle part dans ce qui allait devenir l’Algérie, la prière n’était donc dite au nom d’un quelconque chef national.
Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1959, le général Charles de Gaulle déclara quant à lui:
«Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays sans qu’il y ait eu à aucun moment, sous aucune forme, un État algérien» (Charles de Gaulle, 16 septembre 1959).
On comprend donc le malaise des historiens algériens, condamnés par l’histoire officielle à présenter Tlemcen ou Bougie comme des pré-Algérie, alors que nous sommes en présence de principautés, certes brillantes, mais qui n’ont jamais constitué de noyaux pré-étatiques. À la différence de Fès et de Marrakech qui créèrent le Maroc, lequel développa des empires à travers ses dynasties, qu’il s’agisse des Almoravides, des Almohades, des Saadiens, des Mérinides et des Alaouites. Rien de tel à l’est de la Moulouya où, prises en étau entre le Maroc et Tunis, l’autonomie de Bougie et de Tlemcen ne fut que ponctuelle.
Plus tard, les Turcs ne favorisèrent pas l’évolution vers l’État nation. Aussi, en 1830, quand l’armée française débarqua à Sidi Ferruch, l’Algérie n’existait toujours pas.
Ce fut donc la France qui créa l’Algérie en désenclavant et rassemblant ses régions, ses populations, en lui donnant ses frontières et jusqu’à son nom. Des frontières qui, à l’ouest, furent tracées par l’amputation territoriale du Maroc (Tidikelt, Gourara, Tindouf, Colomb Béchar, etc.), et qui, au sud, ouvrirent l’Algérie sur un Sahara que ni Tlemcen ni Bougie, ni la Régence ottomane n’avaient possédé.
Les historiens algériens connaissent évidemment ces réalités, mais il leur est interdit d’en faire état sous peine de voir s’abattre sur eux l’accusation de traitrise… Ce qui donne donc naissance à une sorte d’équilibrisme scientifique parfaitement bien illustré par l’historienne tlemcéinenne Fatima-Zohra Bouzina Oufriha, autrice d’un livre intitulé «Au temps des grands empires maghrébins. La décolonisation de l’histoire de l’Algérie», dont elle a ainsi expliqué la finalité:
«C’est le rôle du Maghreb central que je cherche à ré-apprécier par rapport à une lecture, partiale et biaisée, une interprétation de l’histoire qui pour moi est coloniale, dans la mesure où systématiquement, le rôle du Maghreb central qui deviendra l’Algérie est escamoté au profit du Maghreb extrême qui deviendra le Maroc (…) Derrière cette lecture biaisée et partiale, il y a la thèse coloniale (…) qui pose que l’Algérie et Maghreb central n’ont jamais existé. C’est toujours le Maroc que l’on met en exergue» (Algeria-Watch 22/05/2016 en ligne).