Comme chaque année, à la même époque, des bruits, des rumeurs circulent dans les milieux littéraires et médiatiques à propos du prix le plus prestigieux d’Europe, le prix Goncourt.
Doté d’un chèque de dix euros, c’est le prix qui rapporte le plus à l’auteur et à son éditeur, grâce à des ventes pouvant être monumentales, comme celles du Goncourt de l’an dernier, «Veiller sur elle», de Jean-Baptiste Andrea (éd. l’Iconoclaste), avec 700.000 exemplaires et quarante traductions, ou celles de «L’Anomalie», d’Hervé Letellier (éd. Gallimard), Goncourt 2021, qui ont dépassé le million d’exemplaires.
Cette année, la rumeur hésite entre Gaël Faye, l’enfant du Rwanda, chanteur par ailleurs, qui revient sur la tragédie du génocide dans son deuxième roman «Jacaranda» (éd. Grasset), et Kamel Daoud, avec «Houris» (éd. Gallimard), un roman où la réalité dépasse la fiction. Il y raconte les horreurs de la guerre civile en Algérie, entre 1991 et 1999. Un sujet interdit par la loi en Algérie, sous peine de prison et de grosse amende.
Un exemple de cette tragédie: «… De ma sœur, on ne retrouva que la tête d’abord. Puis ses traces de sang, comme un chemin, indiquèrent d’autres cadavres. Mes parents, on ne réussit pas à les recoller pour les enterrer.» (p. 153)
Les autorités algériennes mènent une campagne de dénigrement contre Kamel Daoud et n’hésitent pas à attaquer votre serviteur, qui serait le manipulateur en chef dans un complot contre l’Algérie, sa révolution et son peuple! Rien que ça! Quelques insultes au passage, où mon nom devient «Benkelboun» et celui de Daoud «Covid-2». Du fait que je siège à l’Académie Goncourt, elles s’imaginent que j’y fais la pluie et le beau temps, oubliant que nous sommes une dizaine de membres, de sensibilités différentes, ayant chacun une voix. Nous sommes, en outre, bénévoles, et l’argent n’a pas cours dans nos délibérations.
«Si “Houris” remporte le prix Goncourt, ce que l’armée algérienne a cherché à dissimuler de l’horrible guerre civile serait porté à l’attention du grand public.»
Ils ont raison d’avoir peur, les porte-voix du régime d’Alger! Car si «Houris» remporte le Goncourt -ce qui, au moment où j’écris ces lignes, n’est pas certain du tout-, cela serait pour eux un grand scandale: ce que l’armée algérienne a cherché à dissimuler de l’horrible guerre civile serait porté à l’attention du grand public, français et francophone, en attendant plus d’une quarantaine de traductions, dont certaines sont en cours. Déjà, le succès public du livre est avéré (plus de 60.000 exemplaires vendus selon les données GfK, issues des ventes à travers les caisses des libraires). En outre, Kamel Daoud, qui jouit d’une grande sympathie auprès des grands médias français, a déjà brillé dans des émissions littéraires ou politiques.
La loi algérienne qui punit toute révélation sur cette époque serait par conséquent caduque.
Dans la rage et la précipitation, les autorités algériennes, inquiètes du grand déballage que constituerait le succès public de «Houris», ont décidé d’interdire la participation des éditions Gallimard au Salon du livre d’Alger. Par conséquent, toutes les maisons d’édition du groupe Gallimard (Flammarion, POL, Minuit, Denoël, Mercure de France, Folio, etc.) ont décidé de ne pas se rendre à Alger. D’autres éditeurs français se sont solidarisés avec Gallimard et n’iront pas non plus à ce salon. Ainsi, le grand public de lectrices et de lecteurs algériens sera cette année privé d’un grand nombre de livres. De toute façon, la culture n’a jamais été la préoccupation de ce régime attaché à la haine obsessionnelle du Maroc, de sa civilisation et de son peuple.
Au même moment, un autre écrivain de talent, Boualem Sansal, publie un essai intitulé «Le français, parlons-en!» (éd. du Cerf). Il a, lui aussi, quitté l’Algérie et pris la nationalité française. Interrogé un peu partout, il dénonce avec des mots forts et des arguments solides le régime des généraux algériens qui, d’après lui, passent plus de temps à échafauder des plans pour attaquer le Maroc que de s’occuper de leur peuple. Car pour eux, «la clé de la légitimité, c’est la désignation d’un ennemi».
La parole de ces écrivains est prise au sérieux. Le pouvoir algérien, guidé par la haine du Maroc qu’il rêve de détruire, est décrit dans ses réalités les plus absurdes, les plus irrationnelles. C’est de l’ordre de la psychiatrie. Mais il n’y a pas pire malade que celui qui refuse de se faire soigner. Heureusement qu’en face, par la voix de son Souverain, la sagesse prime et la politique reste celle de la main tendue, pour que les deux peuples puissent de nouveau se retrouver et vivre en paix.
Mais la sagesse est l’ennemi de l’être perturbé. Il faut du courage et beaucoup de patience au Maroc pour encaisser sans réagir les tonnes d’insultes et de menaces gratuites. C’est toute la différence entre un régime honni par son peuple et ses écrivains, et une monarchie solide et solidaire, stable et épanouie, qui regarde vers l’avant et n’écoute plus les diatribes tissées de haine du voisin de l’Est.