Lu, entendu

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueLe français est parlé par davantage de non-Français dans le monde. Mais la question est ailleurs: une langue, surtout quand on l’a apprise enfant, quand elle a fait partie de notre construction mentale, ne doit pas être insultée, boycottée, mise à l’écart, condamnée et interdite. Toute langue mérite le respect. Toute langue mérite d’être apprise. Plus on connaît de langues, mieux on comprend le monde et sa complexité.

Le 02/10/2023 à 11h00

Je lis une information sur l’Algérie parue en première page du Figaro du 27 septembre 2023: «Interdiction d’autres manuels que ceux du programme d’État. Limitation des heures de français, durcissement de l’accès aux universités algériennes pour les titulaires du bac français, interdiction aux candidats libres de passer l’examen au lycée français. Bouleversant la rentrée, le ministère de l’Éducation intensifie la chasse au « double programme » dans les écoles privées. Les directeurs d’école doivent renoncer au programme français sous peine de poursuites pénales».

C’est avec ce gouvernement que le président français compte en finir avec «la rente mémorielle».

Parmi les romans qui se sont distingués en cette rentrée littéraire en France se trouvent trois ouvrages écrits par des Marocains: «Adieu Tanger» (Éditions Grasset), de la très jeune Salma El Moumni, et «Les silences des pères» (Le Seuil), de notre ami Rachid Benzine. Tous les deux figurent sur des listes des grands prix de l’automne. Quant à «À la recherche de Glitter Faraday», de Kebir M. Ammi (Éditions Project’îles), c’est un roman formidable, malheureusement passé inaperçu auprès des jurys des prix.

Écrits dans un français impeccable, ces livres, au-delà de leur sujet, illustrent et célèbrent la langue française qui n’appartient à personne. Le français est parlé par davantage de non-Français dans le monde. Mais la question est ailleurs: une langue, surtout quand on l’a apprise enfant, quand elle a fait partie de notre construction mentale, ne doit pas être insultée, boycottée, mise à l’écart, condamnée et interdite.

Toute langue mérite le respect. Toute langue mérite d’être apprise. Plus on connaît de langues, mieux on comprend le monde et sa complexité.

Nous aurions pu parler en anglais, si le protectorat avait été britannique. Mais l’histoire est ainsi. Nous prenons ce «butin de guerre», d’après la célèbre expression du grand poète algérien Kateb Yacine, et nous en faisons de belles choses.

Le roman de Salma El Moumni (originaire de Tanger, elle a fait l’École normale supérieure à Lyon) est émouvant. Une adolescente parle du regard que posent sur elle les hommes, elle évoque son monde intérieur et découvre combien la littérature est une chance pour s’émanciper. Elle se prend en photo, pensant qu’elle seule les regarde. Mais elles passent sur Internet. La suite ressemble à la vie de la jeune auteure. L’adolescente part faire des études à Lyon, avec la peur que ces photos dévoilées lui causent un grand tort. Elle devient paranoïaque et a peur de revenir au pays. Salma El Moumni donne une voix à celles qui se sentent seules et incomprises.

Rachid Benzine, après «Ainsi parlait ma mère» (2020), évoque son père dont il apprend la mort par téléphone. C’est dire que les relations entre les deux hommes n’étaient pas très bonnes. Il revient à Trappes, sa ville d’enfance, et là, il tombe sur une grande quantité de cassettes audio où le père raconte sa vie en France, une vie «pleine de trous et de chagrin», dans le Nord et les banlieues, à Besançon et autres lieux.

Ce père qui ne parlait pas a laissé un long message qui dit une vie et son malheur.

Il fut un moment où des immigrés illettrés envoyaient des cassettes enregistrées à leur famille restée au pays. Le père du narrateur ne les envoyait pas, mais les gardait dans un coin. C’est le point de départ d’un roman original, bien composé et très touchant.

Livre émouvant, bref et surtout vrai. On sent que Rachid, même s’il a inventé l’histoire des cassettes (dans la vie, son père a laissé trois cassettes seulement), a fait le voyage dans le long parcours d’un père qui trimait et ne disait rien.

Rachid s’interroge sur les silences de ce père, ce qui donne le sens du roman: «Peut-être que la parole arrache brutalement au silence ce qu’il a gagné lentement. Et le galvaude à jamais. Et si le silence était notre dernier espace de liberté? Là où s’appréhende notre savoir, ce que nous avons appris de l’existence. Se taire pour accéder au vrai, au beau, au juste?»

Rachid est un pédagogue, un bon connaisseur de la pensée islamique, un homme de paix et de partage à l’instar de son ami, le prêtre Christian Delorme, qui l’a aidé et encouragé à aller de l’avant. C’est un intellectuel qui ne la ramène pas. Il est connu pour sa modestie. Son roman donne la parole à une génération de travailleurs immigrés dont certains ont été ensevelis dans un linceul de silence.

Kebir Ammi nous emmène en Amérique, et par ricochet à Alger, à l’époque où s’y tenait le grand festival panafricain. C’était au moment où les Américains marchaient sur la lune. 1969. Glitter Faraday était là ainsi que les Black Panthers. Une époque faste et extraordinaire. Un manuscrit aurait été emporté par ce jeune noir exalté. Plus de quarante ans plus tard, le narrateur part à la recherche et de l’homme et du manuscrit. Ce qui nous vaut un voyage dans une Amérique peu banale, avec des personnages extravagants, sortis d’un vieux film des années cinquante et d’une musique d’Archie Shepp.

Roman passionnant, étonnant, tout nouveau dans les thèmes et leurs traitements dans la littérature d’expression française. Je suis certain que Kateb Yacine aurait aimé cette échappée dans les territoires d’une Amérique dont la mémoire est meurtrie par tant de malheurs.

Et puis il y a Alger «où tout commence et tout s’achève». Un roman ample et magnifique qui nous éloigne des clichés de cette littérature maghrébine qui se sent parfois obligée de passer par la case autobiographie pour exister.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 02/10/2023 à 11h00

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D accord pour l apprentissage de toute autre langue etrangere mais pas dn tant que langue officielle mettant la ou les langues autochtones au second plan.

Parler l'anglais n'est pas un crime ou une aberration🐓Ce n’est qu'un outil d’expression et de communication🐓Il n’est en rien pour la France une agression🐓Ce n’est qu'une langue sans plus de détail🐓Et nullement pour nous un champ de bataille🐓La langue de l’oncle Sam domine🐓Au sommet des langues elle culmine🐓L'adopter n’est pas une vengeance qu’on rumine🐓Libre à nous de faire le choix🐓De ce qui nous va et nous échoit🐓Alors, nul n’a le droit🐓De juger ce qu’on pense ou ce qu’on croit🐓Si le Maroc refuse de se soumettre à la France et son emprise🐓Ce n’est pas un alibi pour déclencher toute une crise🐓La francophonie est une affaire de culture🐓Il ne serait pas question de rupture🐓Ce n’est qu'une guerre contre l'excentricité🐓Qui voudrait mettre la France en centre de gravité

Dans un autre contexte, neutre, celui-là, j'aurais apprécié cette apologie du français. Mais, avec cette joute entre le Maroc et la France, Mr Benjelloun se fait l'avocat du diable en tentant de défendre l'indéfendable. C'est un problème politique, non linguistique. Quant au plurilinguisme, feu Hassan II l'avait officiellement prôné depuis plus de trente ans!

Bonsoir Monsieur Tahar Ben Jelloun. Pour moi, apprendre et pratiquer les langues dominantes, procure un avantage sûr, certain, qui n'a pas de prix de nos jours. C'est l'une des plus belles expériences qu'on peut faire dans une vie. De plus aujourd'hui, avec les outils gratuits disponibles sur le net, il n'y a qu'à ... Cordialement.

J'aime beaucoup : "Toute langue mérite d’être apprise. Plus on connaît de langues, mieux on comprend le monde et sa complexité."

Les langues n'ont pas besoin d'avocats! Ce sont les usagers qui en justifient la qualité. Cependant, il y a la langue qui nous habite, c'est la littérature et la poésie, il y a celle qu'on peut rejeter, l'administrative et la pédagogique qui aliènent notre école et nos services! A bas le français fonctionnel!

Oui,il nous a fallu plus d'un siècle et Macron pour découvrir à quoi a servi le "français"...Et je dois avouer que nous étions niais.pour mettre autant de temps à maitriser "le français" et ses tournures...!Quelle chance...le protectorat...!La France s'est donnée tant de peine pour nous protéger....!Oserions-nous un jour etre ingrats.!Inimaginable ;!Ce n'est pas toléré par les valeurs et par aucun registre...!Il nous a fallu patienter et attendre l'avènement Macron pour nous rendre compte , de qui la France avait voulu et veut nous protéger.!C'était et c'est contre nous-memes...!J'ai l'impression d'avoir entendu cela ,il y a déjà longtemps et j'ai cru que c'est du "passé". Le Franc-Macron nous le rappelle par pratique..Il veut protéger le Roi contre son peuple et le peuple contre le Roi

A ce que représente la France pour nous marocains, il faut faire la part des choses. Ne perdons pas de vue qu'à la faveur du protectorat Français, l'Etat marocain, la société marocaine ont pris un grand raccourci temporel pour se réformer. Depuis on s'est constamment appuié sur cette même France pour former nos cadres, réformer nos lois, installer nos institutions modernes. Aujourd'hui la conjoncture politique pousse à ce que les rapports entre les deux pays changent, deviennent plus équilibrés. La France est une puissance, le français parlée dans l'ouest africain et subsaharien. C'est un canal de communication précieux avec cette partie du monde. Notre problème n'est sûrement pas la prédominance du français, mais plutôt la faible présence de l'anglais....et bientôt le mandarin...

J'aurais aimé que les français défendent autant la langue arabe que certains marocains défendent la langue française. Mais ce n'est pas le cas.... et ça ne le sera jamais. Alors un peu de fierté, et défendant notre langue (ARABE) parce que personne ne le fera à notre place. Et faisons la aimer à nos enfants...... Pour "le butin de guerre" il faut plutôt parler de perte linguistique, culturelle, identitaire....

bravo ,comme toujours vous êtes très juste ,il fait garder la langue française et arrêter ne faisons pas comme ces fous de l'est

La puissance d’une langue s’apprécie par rapport à la qualité et la quantité du savoir qu’elle permet d’acquérir.

Il faut faire attention, les généraux algériens sont maîtres dans le populisme et c'est grâce à cela et à la rente pétro gazière qu'ils survivent. Ils ont repéré cette tendance actuelle que tout pouvoir en afrique francophone qui serait proche de la France, subira la colère du peuple et sera menacé. Ce ressentiment africain croissant est dû à la mauvaise politique arrogante de Macron et à la montée des idées d'extrême droite en France. Et oui, ce sont bel et bien les autres puissances qui profitent des erreurs de la France pour couper ses liens avec l'Afrique francophone riche en ressources stratégiques. Le but final est d'éviter que la France ne redeviennent hégémonique. Pour ses relations avec la France, Le royaume du Maroc doit gérér l'opinion interne et le jeu des autres puissances.

Pour terminer, la main de Wagner est indéniable et ses méthodes documentées : des usines d'internautes à Saint-Petersbourg attaquent la France avec des profils bidons sur les réseaux sociaux. Ils ont montré leur efficacité en influençant l'élection de Trump, le Brexit et la montée de l'extrême-droite dans de nombreux pays d'Europe. Et quand le sentiment anti France s'installe, Wagner n'a plus qu'à trouver un colonel pour qu'il lance son coup d'État, sans prendre trop de risque puisque je crois que 65% des tentatives de putsch réussirent en Afrique. Donc n'écrivez pas que ces Africains préfèreraient la Russie ! Un pays devenu une dictature, qui tente de soumettre par la force l'Ukraine, et qui se finance en pillant les richesses naturelles de ses nouveaux "amis" au Centrafrique, Mali etc

"Ce ressentiment africain croissant est dû à la mauvaise politique arrogante de Macron et à la montée des idées d'extrême droite en France. " Vous êtes d'une naïveté ! Ce ressentiment comme vous dites prend la forme concrète de coups d'État au profit de la Russie. Mais comment se fait-il que des jeunes maliens, nigériens ou burkinabés brandissent des drapeaux russes ? Ils préfèrent se rapprocher d'une dictature qui envahit un pays, qui s'est débarrassé chez elle de tous ses opposants et toute presse indépendante par la terreur, à un pays dont les soldats mènent une coalition pour combattre des arriérés sanguinaires au Sahel ?

Ce n'est pas une langue qu'on rejette , c'est à travers cette langue que nombreux sont les Africains qui rejettent la politique neocoloniale de la France ."Parler sa langue maternelle est un acte révolutionnaire " dit haut et fort Sartre à propos des Basques.La France méprise et humilie les Africains .Il suffit de faire la quête devant ses consulats pour le constater.Dans ses manuels scolaires ,elle nous brosse un tableau idyllique de ses paysages mais,elle nous met les bâtons dans les si on veut aller explorer ce qu'elle nous chante.Basta.

les bâtons dans les roues

Cette Interdiction de la Langue Française en Algérie est 1 grand Bêtisier et la Preuve de la Faiblesse et de l'Ignorance des Dirigeants Algériens ! Vous en parlez très bien en homme de Lettre, mais sur le plan Économique et Politique c'est encore plus Grave ! ... Je ne me lasserai jamais de dire que l'Algérie aurait beaucoup gagné en adoptant la Langue Française comme Langue Nationale après l'indépendance ! ... Comment peut-on faire Autrement après avoir passé plus de 130 Années avec cette Langue ?! ... Le prétexte Nationaliste est ABSURDE ! Ce que les Algériens oublient c'est qu'ils ont chassé le Colonisateur avec la Langue Française !!! ... Alors pourquoi refuser d'utiliser cette Langue comme Outil d'épanouissement et de Développement ??!!! ... Merci

Rebonjour, “La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle.”

Bonjour, “La langue anglaise est un fusil à plombs : le tir est dispersé. La langue française est un fusil qui tire à balle, de façon précise.”

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