Ces trésors du Maroc que cache la Bibliothèque nationale de France

Karim Serraj.

ChroniqueDans ce réseau mythique des 7 sites de la Bibliothèque nationale de France, dont la compilation du fonds livresque a débuté en l’an 1368 sous le roi Charles V, attendent patiemment depuis des siècles des livres imprimés en français ancien qui ont pour thème principal le Royaume du Maroc, ou qui évoquent dans leurs pages notre pays. La plus vieille histoire qui cite le Maroc est une chronique latine couvrant les années 1208-1250, traduite en «françois» à l’avènement de l’imprimerie de Gutenberg. Visite guidée de certains des plus beaux trésors littéraires de la BNF sur le Maroc.

Le 19/05/2024 à 10h59

La Bibliothèque nationale de France regorge de livres sur le Royaume du Maroc édités entre le 16ème et le 19ème siècle dès que l’imprimerie fit son apparition. Des centaines d’ouvrages imprimés d’abord pour le plaisir et l’éducation des rois de France et des nobles, puis destinés après la révolution de 1789 au grand public. Voici un bref -trop lapidaire- aperçu, d’une dizaine de livres, les plus anciens, qui évoquent le Maroc dans leurs pages, ou dont l’histoire s’y déroule entièrement.

Le plus ancien livre qui cite le «Royaume du Maroc»

La plus ancienne chronique littéraire sur le Royaume du Maroc s’appelle «Annales des Frères mineurs» (2 vol. 3 tomes). Êcrite par Luc Uvadinghes en latin, elle couvre les années 1208-1250. Elle a été traduite en français ancien et publiée par Sylvestre Castet à Toulouse dès l’apparition de l’imprimerie dite «mécanique» en France au 16ème siècle. On y découvre notamment que le pape Innocent III à Rome a mandaté le célèbre François d’Assise, fondateur de l’ordre des Frères mineurs, pour expédier au Maroc des évêques chrétiens. Au 13ème siècle, les chrétiens, tout comme les juifs dont parlent d’autres livres de la BNF, vivaient en harmonie au Maroc et avaient des représentants à la cour des sultans: «Frère Elie et frère Gilles qui n’étaient que frères de lait, partirent avec plusieurs autres pour l’Afrique au Royaume du Maroc, et un mois après leur départ, Saint François les fit suivre par frère Vital (…) et par le bon frère Agneau qui a été depuis évêque du Maroc» (p.156). Or, l’infant d’Espagne, jaloux de l’intérêt de Rome pour ce grand royaume africain, dépêcha ses hommes pour reconduire la délégation des moines jusqu’en Espagne, mais celle-ci «trompa ses conducteurs et retourna au Maroc, si bien que l’infant les fit convoquer une seconde fois sur les terres des chrétiens, mais ils trompèrent une seconde fois leurs guides et retournèrent au Maroc» (p.391). Innocent III, considéré comme l’un des plus grands papes du Moyen Âge, «écrivit aux fidèles du Maroc de ces quartiers-là pour leur ordonner de recevoir frère Agneau et de l’honorer comme leur vrai pasteur. Le pape écrivit encore au Roi du Maroc pour le remercier» (p.403).

Une grande nation du monde

Les «Chroniques de Monstrelet», publié à Paris par le chevalier Monstrelet, en 1572, relatent des épisodes historiques d’entre les années 1400 et 1467 et l’on y apprend que le détroit de Gibraltar était nommé au 15ème siècle «Détroit du Maroc» (cité dans plusieurs pages). De même un autre livre, «Le grand routier, pilotage et encrage de mer», rédigé à la fin du 15ème siècle par le géographe Pierre Garcie et publié en 1579 à Paris, évoque cette appellation: «Trefalguar et le détroit du Maroc» (p. 20).

Dans «Académie françoise, dans laquelle est traitée l’institution des mœurs», publié en 1581 à Paris, l’auteur Pierre de la Primaudaye fait la promotion de la loi monarchique saline (le legs du pouvoir royal se fait toujours de père en fils, et jamais de père à fille) et évoque les grands royaumes du monde qui la pratiquent, comme celui de Naples, de Sicile, de France et aussi précise-t-il le Royaume du Maroc dont la capitale était Fès: cela «fait que le Royaume ne soit déféré par vertu de la loi sans avoir égard aux filles, ni aux mâles descendances de celles-ci, comme il se fait par la loi salique au Royaume de Naples et de Sicile, en France ainsi que les Rois de Fès au Maroc, et comme il fut pratiqué au départ par le roi d’Angleterre Henri VIII» (p.191).

«La cosmographie universelle illustrée de diverses figures des choses plus remarquables vues par l’auteur (Tome 1er)», publié à Paris en 1575 par André Thevet, décrit la terre marocaine comme étant la plus «belle et riche» de l’Occident: «beau royaume, c’est la terre même du Maroc et la province Ducale (lire Doukalla) toute maritime et la plus belle et riche de toutes» (p.9).

Dans «Les grandes annales et histoire générale de France, dès la venue des Francs en Gaule jusques au règne du roi très chrétien Henry III (Tome 1)» publié à Paris en 1579, l’auteur François de Belleforest parle ainsi du Maroc: «(…) Tingitane laquelle à présent est appelée le Royaume du Maroc, qui est la plus riche de Barbarie» (p.119).

Relations de voyage et récits des ambassadeurs dont l’intrigue se déroulent dans le Royaume du Maroc

À partir de 1600 et tout au long du grand siècle français, avec Louis XIV, une relation diplomatique assidue se noue entre la France et le Royaume du Maroc. Les relations de voyage d’explorateurs et les comptes-rendus de diplomates et ambassadeurs établis au Maroc se multiplient à un rythme croissant. Les titres des livres évoquent désormais nommément le Maroc.

«Relation de l’origine et succès des Chérifs, et de l’état du Royaume du Maroc, à Fès et Tarudant, et autres provinces», est publié en 1636 de manière posthume par Diego de Torres (mort dans les années 1580), traduit de l’espagnol par Charles de Valois, duc d’Angoulême. Le traducteur y commente ainsi son entreprise: «Cette histoire est rare et comme nouvelle, car il y a peu de gens qui ont parlé des affaires de Fès et du Royaume du Maroc durant le dernier siècle. Sa matière est ample et excellente, parce qu’elle comprend tout le succès (...) et fait spécialement le narré des actions des Chérifs, de la grandeur de leurs conquêtes, du bonheur de leurs armées, de la bonne conduite de leur fortune, et de leur solide établissement au Royaume du Maroc» (p. 19). Il est dit aussi: «Depuis l’an de grâce 1260 il est avéré que les Chérifs jouissent d’une notoriété auprès de leurs semblables mahométans, qu’ils accomplissent les vertus de la religion et bénéficient d’une attention de la part du roi du Maroc» (p. 57).

Dans «Voyage d’Adrien Matham au Maroc (1640-1641); journal de voyage», écrit par cet Adrien Mathan qui a séjourné un an au Maroc, l’auteur retrace, dans un récit épique, toute l’histoire des diplomaties européennes dans notre pays, et des hommes occidentaux qui viennent au contact du Maroc en ce siècle lointain. Ce livre a une valeur de document diplomatique historique évident. L’auteur nous prévient: «Les premières relations d’un voyage fait au Maroc par des Européens datent du milieu du 16ème siècle. Ce fut le 2 mai 1552 que le capitaine anglais Thomas Windham quitta le port de Londres, faisant voile vers la côte occidentale de Barbarie. Quinze jours après il arrivait à Asfi (Saffia), où cependant il ne s’arrêta que le temps nécessaire pour prendre de nouvelles provisions afin de pouvoir continuer sa route vers Agader (St. Cruz)» (p.18). Le récit rappelle ensuite les toutes premières expéditions officielles de l’ambassadeur de France Edmond Hogan, auprès du roi Moulay Abdelmalek, qui eut lieu en 1577, et celle d’Henri Robert également diplomate français dépêché peu de temps après à la cour du Maroc. Mais on y découvrira également des détails croustillants sur les ambassades allemandes, portugaises et hollandaises, et de belles descriptions. Ainsi l’ambassadeur hollandais Liedekerke «apprit que l’empereur du Maroc, charmé de pouvoir renouveler l’alliance avec les Etats-Généraux, lui préparait un très favorable accueil (…) une garde d’honneur composée de 200 cavaliers maures, formait son cortège pendant sa route d’Asfi à la capitale. Le 11 mars 1611, l’ambassade hollandaise fit son entrée dans la ville, et quatre jours plus tard, Liedekerke avec toute sa suite eut audience auprès du sultan Moulay El Oualid» (p.21).

«Estat présent de l’empire du Maroc» publié en 1694 à Paris par Pidou de Saint-Olon, a été commandé par le roi Louis XIV qui s’intéressait de près au Royaume du Maroc. Chargé par le monarque français de conclure un Traité de Paix avec le Maroc, voilà comment l’ambassadeur Saint-Olon auprès de la cour du Maroc présente son livre, à son retour de sa mission réussie: «Toutefois, Sire, l’obéissance et l’attention que je dois à l’exécution des ordres de Votre Majesté, à ce qu’elle m’en a fait prescrire dans mes instructions, m’ayant engagé pendant mon séjour dans l’État de l’Empereur du Maroc, à des remarques plus nouvelles et moins connues, j’ose espérer que Votre Majesté aura la bonté d’agréer mon histoire» (p.2). Admiratif des Marocains, l’auteur louera «la qualité du commerce de cet empire, le caractère, les mœurs et le génie de ceux qui ont le plus de part à son gouvernement» (p.3). Il décrit la situation du pays, les coutumes sociales des Marocains, les habitudes quotidiennes des habitants, etc.

L’imprimerie au Maroc dès la fin du 16ème siècle

Dans «L’origine de l’imprimerie de Paris. Dissertation historique, et critique», publié en 1694 à Paris par André Chevillier, docteur et bibliothécaire, l’auteur affirme à deux reprises que l’imprimerie était déjà en usage dans le Royaume du Maroc dès la fin du 16ème siècle:

«On sait qu’il y a eu des imprimeries dans l’État du Maroc en Barbarie, elles y ont été premièrement établies (à savoir avant les imprimeries en France du roi François 1er, NDLR), sans doute par les Portugais et les Espagnols, qui en sont voisins» (p.274). Et plus loin: «Il y a eu des imprimeries dans l’Empire du Maroc» (p.436).

À la BNF, un constat s’impose au fil des siècles: le Royaume du Maroc a été perçu par les historiens, géographes, voyageurs et diplomates français comme un puissant État, au commerce florissant, aux terres arables, à l’armée orgueilleuse et à l’influence attestée dans le concert des grandes nations.

Par Karim Serraj
Le 19/05/2024 à 10h59