Deux rapports de la CIA, intitulés respectivement «The Western Sahara Conflict: Morocco’s Millstone» (1976-1979) et «The Western Sahara Conflict» (1978), proposent une analyse détaillée des rôles restés cachés du Polisario et de Houari Boumediene dans le coup d’État du 10 juillet 1978 survenu en Mauritanie. Ce coup d’État a permis selon l’agence américaine aux «guérilleros du Polisario de bénéficier de la chute du pouvoir à Nouakchott» pour faire tomber le président Mokhtar Ould Daddah, le père de l’indépendance mauritanienne: «Lorsque le conflit s’intensifia en 1976, le front Polisario concentra ses attaques sur la Mauritanie, considérée comme le maillon faible des deux adversaires (Maroc et son allié la Mauritanie). La pression incessante des guérilleros, combinée au manque de formation et à l’équipement insuffisant des forces mauritaniennes, finit par briser leur volonté de combattre.» Dès lors, la Mauritanie devient une cible militaire et politique du Polisario, qui voit dans la collaboration mauritanienne avec le Maroc une trahison de ses idéaux indépendantistes.
Les insights sur l’implication de Boumediene et du Polisario dans le coup d’État du 10 juillet 1978 contre Ould Daddah
Tout commence en 1976 par des contacts secrets dans la région de Tindouf entre des officiers mauritaniens fidèles à Mustapha Ould Saleck, et des émissaires du Polisario, sous la houlette des services de renseignement algériens. Ces discussions, renseigne la CIA, «ont porté sur la promesse d’un soutien militaire et logistique du Polisario au lieutenant-colonel Ould Saleck, en échange de la neutralité mauritanienne dans le conflit du Sahara occidental, voire d’un retrait des troupes mauritaniennes du conflit». En portant au pouvoir à Nouakchott un vassal, l’Algérie cherche à isoler le Maroc. Ainsi selon les documents de la CIA, à la «mi-avril 1976, la première attaque de guérilla (Polisario) contre la ligne de chemin de fer en Mauritanie a lieu. En juin 1976, la première attaque de guérilla contre Nouakchott se produit». C’est le commencement des hostilités menées par le Polisario contre la Mauritanie jusqu’au coup d’État de juillet 1978, des accrochages réguliers faits d’attaques de civils, de prise d’otages, de razzias comme «l’attaque de la ville mauritanienne Zouerat le 1er mai 1977» faisant plusieurs morts et six otages, «une deuxième attaque contre Nouakchott en juillet 1977», ou encore «deux autres otages français capturés en octobre 1977».
L’Algérie utilise le Polisario comme un levier stratégique pour affaiblir ses voisins maghrébins. Pendant que les actions terroristes du Polisario ont cours, l’allié de Boumediene, le lieutenant-colonel Ould Saleck, exploite le mécontentement au sein de l’armée mauritanienne, lassée après deux ans d’implication couteuse et sanglante dans leurs combats contre le Polisario.
Le coup d’État de Boumediene plonge la Mauritanie dans une instabilité prolongée. Ould Daddah, exilé, critique ouvertement le rôle de l’Algérie et du Polisario dans sa chute, mais ses accusations sont peu relayées sur la scène internationale. L’agence américaine affirme que «Le coup d’État militaire en Mauritanie le 10 juillet 1978 a mis fin à 18 années de pouvoir de Moktar Ould Daddah et a porté au pouvoir un gouvernement déterminé à mettre un terme à l’implication du pays dans le conflit du Sahara». Selon le rapport, dès «novembre 1975, le président algérien Boumediene avait averti Ould Daddah que s’allier avec le Maroc provoquerait sa chute».
La nouvelle junte militaire mauritanienne opte pour un retrait progressif du conflit, accédant à la condition imposée par Boumediene et ouvrant «la voie à un cessez-le-feu avec le Polisario en 1979. Ce répit a permis au Polisario de renforcer sa logistique en établissant de nouveaux camps de base», ajoute la CIA. Mais l’homme de paille d’Alger, le lieutenant-colonel Ould Saleck, n’est pas à l’abri de chantages, car «les guérilleros, portés par leurs récentes réussites sur le champ de bataille, exigent davantage. Selon des sources, ils ont menacé de relancer les attaques contre des cibles mauritaniennes si Nouakchott refuse d’accéder à un ultimatum exigeant:
•Une déclaration publique de la Mauritanie affirmant qu’elle a renoncé au contrôle de son secteur du Sahara occidental au profit du Front Polisario.
•Le retrait des forces mauritaniennes du Sahara «occidental».
•La reconnaissance diplomatique par la Mauritanie de la République arabe démocratique sahraouie.»
Et la CIA d’ajouter: «Tel est l’objectif des Algériens et des guérilleros, qui exploitent chaque occasion pour creuser un fossé entre Rabat et Nouakchott.»
L’Algérie «un sanctuaire» et une «base de repli» du Polisario
Ces rapports de premier plan analysent la relation de tutelle de l’Algérie sur le Polisario entre 1976 et 1978, actant que «l’approvisionnement militaire depuis l’Algérie se poursuit et les guérilleros continuent de bénéficier de sanctuaires en territoire algérien». Il est aussi fait mention que «l’Algérie offre aux guérilleros du front Polisario des zones de repli ainsi qu’un soutien matériel», les forces du «Polisario sont bien armées et approvisionnées, préférant opérer depuis des bases en Algérie, ce qui empêche les forces marocaines, pourtant supérieures en nombre, d’avoir des cibles fixes. Le Polisario semble miser sur une guerre de guérilla prolongée pour contraindre Rabat à accepter un règlement politique conduisant à la création d’un État saharien indépendant».
Selon la CIA «le Polisario ne dispose pas d’une base humaine suffisante pour mener autre chose qu’une guerre de guérilla. Les forces de guérilla dépendent principalement de l’aide militaire de l’Algérie, et dans une moindre mesure de la Libye, pour maintenir la pression actuelle sur les troupes marocaines.» Plus encore, continue l’agence de renseignement, «grâce à un soutien important de l’Algérie, le mouvement est passé en cinq ans d’un groupe insignifiant de combattants à une force bien organisée et équipée, capable d’évincer la Mauritanie du conflit. Cependant, ils ne pourraient maintenir le niveau actuel des opérations militaires sans le soutien de l’Algérie».
Quand Boumediene était décidé à installer la RASD… en Mauritanie
Elle s’appelle la Haute-Mauritanie. C’était une région baptisée ainsi à l’est du Sahara dit espagnol et annexée par la France au profit de la Mauritanie. La Haute-Mauritanie a une importance historique notable en raison de ses anciens centres de commerce transsaharien et de ses cités caravanières, comme Chinguetti, Tidjikja, et Tichit, qui étaient des étapes pour les échanges entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne. La CIA explique qu’après le coup d’État, Boumediene cherchait «une solution rapide permettant de préserver son prestige. Cependant, en pragmatiste, il pourrait estimer que ses chances d’obtenir des compromis sont actuellement plus élevées qu’elles ne le seront plus tard». Le président algérien était convaincu que son champ de tir était provisoire et Ould Saleck susceptible d’être renversé, aussi a-t-il voulu profiter de sa mainmise sur la Mauritanie pour imaginer un projet fou, qui dévoile toute l’hypocrisie du régime algérien, faisant fi de ses sempiternels slogans brandis sur la libération des peuples opprimés et la lutte contre la colonisation. Voici ce qu’écrit la CIA: «Les Algériens pourraient se contenter de moins qu’un État saharien indépendant si un référendum encadré était organisé, établissant au moins les bases de la création d’une région autonome dans la portion mauritanienne du Sahara occidental. Ils espéreraient, à terme, remplacer l’influence marocaine au sein d’une telle fédération par la leur.» Autrement dit, Boumediene, après le coup d’État, voulait installer la RASD dans la région de la Haute-Mauritanie avec une frontière mitoyenne à l’Algérie, dans une confédération où le Polisario jouerait un rôle non négligeable à Nouakchott.
Le rapport de la CIA continue: «Il est presque certain que les Mauritaniens accepteraient que leur région devienne un État saharien autonome fédéré avec la Mauritanie et qu’ils offriraient probablement aux Sahraouis une représentation proportionnelle au sein du gouvernement central.»
1978: décès de Boumediene et position du régime de Chadli Bendjedid
À la mort de Houari Boumediene, dans un hôpital en URSS, en décembre 1978, le projet de la Haute-Mauritanie semble abandonné par le nouveau régime d’Alger, mais la stratégie de soutien des milices est de rigueur. Selon la CIA «le soutien au front Polisario ne faiblit pas sous le nouveau gouvernement algérien dirigé par Chadli Bendjedid, élu président le 7 février 1979. Il est devenu clair que le soutien algérien au front Polisario, avant la mort du président Houari Boumediene, était une politique gouvernementale ainsi qu’un engagement personnel de Boumediene».
La nouvelle direction algérienne a mis l’accent sur la continuité avec la politique saharienne de Boumediene, impliquant un soutien aux objectifs maximaux du Polisario. «L’inflexibilité de l’Algérie concernant un compromis qui sauverait la face avec le Maroc sur leur différend découle en partie de la politique interne du pouvoir», relève la CIA, pour qui «le président Bendjedid ne jouit pas de l’autorité incontestée de Boumediene et dépend du soutien de l’armée. Tant que les relations de pouvoir ne seront pas clarifiées, Bendjedid et ses soutiens militaires s’en tiendront probablement à la politique saharienne de Boumediene afin de ne pas offrir d’ouvertures exploitables à des rivaux puissants».
En conclusion, l’Algérie, pétrifiée par un imaginaire façonné par des rêves de grandeur et des ambitions démesurées, s’est enfoncée depuis plus de six décennies dans un labyrinthe politique dont elle ne semble pas trouver la sortie. Ce jeu de l’autruche, consistant à fuir la réalité pour se réfugier dans les illusions d’un passé glorieux et d’un futur incertain, a plongé le pays dans une impasse historique. C’est un pays prisonnier de ses choix idéologiques, enchaîné par des politiques fondées sur des ressentiments plutôt que sur une vision pragmatique. La rhétorique nationaliste, martelée comme un leitmotiv, a étouffé toute tentative de réforme et de réconciliation, transformant l’Algérie en un pays figé, incapable de faire le deuil d’une époque révolue.
Le train nommé Polisario, quant à lui, n’est plus l’espoir d’un mouvement révolutionnaire, mais la métaphore d’un mécanisme en marche, incapable de s’arrêter, voué à poursuivre une course aveugle sans destination concrète. Les années de soutien ont consumé des ressources économiques et diplomatiques considérables, tout en isolant davantage l’Algérie sur la scène internationale. Tandis que d’autres pays de la région cherchent à tourner la page et à bâtir un avenir de coopération, l’Algérie reste engluée dans sa haine aveugle, incapable de s’adapter aux mutations géopolitiques.
Ce silence sourd du Sahara, loin d’être une simple toile de fond, est la manifestation physique de l’impasse algérienne.