Sans l’Algérie, De Gaulle et les Accords d’Évian, on ne comprendra jamais les origines et les rouages de la question du Sahara marocain. Staffan Di Mistura, au lieu de rendre visite à Alger et Tindouf, devrait plutôt emprunter l’axe qui relie l’Algérie, la mine de Gara Djebilet et l’Atlantique pour comprendre comment dénouer un conflit factice.
Pendant la colonisation, les ressources minières ont imposé un changement récurrent de la frontière à partir de Figuig et en direction du Coude de Drâa et surtout de l’Atlantique. Ces changements se sont accélérés suite aux découvertes minières tout au long des frontières du Maroc. La terminologie évolue: les confins deviennent aussitôt des frontières quand il s’agit d’amputations territoriales au détriment du Maroc. Ce procédé consiste à transformer en frontières nettes les confins dès qu’il s’agit de finaliser une annexion au profit de l’Algérie. Aucun pays au monde n’a subi cette politique dont la conséquence est l’idée de «partage».
Gara Djebilet: histoire d’une découverte et d’une manipulation
La France depuis 1952 et l’Algérie depuis 1962 allaient perdre leurs ressources idéologiques sans même entamer l’exploitation des ressources de la mine de Gara Djebilet. Mais s’il y a un personnage dont on devrait parler dans le domaine politique et économique, c’est bien le résident général Guillaume (juillet 1951 et juin 1954). La crise du 20 août 1953 et l’exil de feu Mohammed Ben Youssef sont restés dans les annales, mais les conséquences de sa politique en matière de recherches minières sont importantes. C’est lors de son mandat que les prospections pétrolières en Algérie ont été lancées depuis le Maroc ainsi que la découverte de la mine de Gara Djebilet. C’est le général Guillaume qui va assister le gouvernement de l’Algérie pour annexer les territoires marocains et faciliter l’exploitation minière dans la zone des frontières qu’on appelle intelligemment confins pour pouvoir accomplir des expansions vers l’Ouest au détriment de la légalité et des traités signés avec le Maroc.
La France allait substituer à la frontière dite ligne de Trinquet (du nom du Colonel Trinquet) une limite administrative: «Jusqu’en 1949, la limite administrative généralement adoptée a été la ligne de Trinquet. Du fait que la plus grande partie du Sud-Marocain n’était pas ouverte à la prospection minière, il y avait d’ailleurs peu d’occasions de conflit. Dans la région ouverte de (Figuig à Teniet Tehariatine) un modus vivendi avait été établi entre les directions des mines des deux pays, fixant comme limite des permis à délivrer par chaque direction la ‘ligne intermédiaire’ définie plus haut». (Cabinet militaire du résident général, Fiche réorganisation des confins et frontière du Sud du Maroc, ANOM, Aix-en-Provence, Fonds ministériels, 1 AFFPOL/2321)
On est au cœur de l’esprit de partage comme il a été établi par la France et surexploité par l’Algérie. Voici donc la situation à quelques années de l’indépendance du Maroc:
«À partir de 1949, devant les possibilités minières qui se font jour dans les confins, le gouvernement général de l’Algérie semble avoir pris à cœur d’assurer à la France le maximum de territoire et s’efforce de faire adopter par le Maroc entre Figuig et le Sahara espagnol un tracé correspondant à la ligne Varnier et à une ligne située au nord de la ligne Trinquet.» (op. cit.)
Le document qu’on reproduit in extenso soulève le cas de la mine de plomb de Djaifat non loin de Bouaârfa, dans le djbel Grouz exploité selon un permis de prospection marocain datant de 1923. Il s’agit là d’une petite mine, mais d’autres mines qui sillonnent les frontières et situées dans le territoire marocain seront annexées au profit de l’Algérie comme ce fut le cas de la mine de fer Gara Djebilet, découverte en 1952.
La région de Tindouf et de Gara Djebilet était dirigée depuis 1933 par le résident général à Rabat et le commandement des confins algéro-marocains. En 1949, ces confins vont devenir, selon la conférence de Tindouf, les confins algéro-marocains et mauritaniens, toujours commandés selon un décret depuis Agadir. Sauf que: «Depuis 1952, et en particulier depuis la découverte de gisement de fer important près de Tindouf, les Gouvernements généraux de l’Algérie et de l’A.O.F., demandent avec insistance sa suppression (le commandement des confins d’Agadir, NDLR), en prenant argument de l’équivoque politique qui pèse sur des territoires relevant de leur autorité, mais où l’ordre est assuré, d’après les directives du résident général de France au Maroc par un général qui est en même temps chargé d’un commandement territorial au Maroc. À part une acceptation de principe du général Guillaume, la Résidence s’est toujours opposée à cette suppression, de peu qu’à cette occasion la délicate question de la frontière Algéro-Marocaine ne soit posée».
Ce commandement sera supprimé en 1955, grâce au soutien du général Guillaume, devenu après avoir quitté le Maroc, chef d’état-major des armées entre juin 1954 et février 1956. Depuis ce poste à Paris, le général allait peser pour supprimer le commandement d’Agadir, en vue de réserver une mine de fer pour la colonie. Le Maroc allait s’émanciper dans quelques mois et il n’est pas question de lui céder ce territoire. C’est le début du non-partage et surtout des tentatives séparatistes.
De l’annexion des confins à l’idée de partage
Le grand malheur du Maroc c’est qu’il a subi une colonisation précédée et suivie d’amputations territoriales de grande envergure pour des raisons commerciales et de points d’eau. À partir des années 1950 jusqu’à nos jours, le Maroc fait face à des amputations territoriales ou des menaces contre son intégrité territoriale au nom du «séparatisme» pour des raisons liées aux ressources minières.
L’accès à l’Atlantique formulé en 1955 constitue l’extrait de naissance du séparatisme colonial et plus tard algérien. Dans une fiche émanant du cabinet militaire du résident général à Rabat, on précise que:
«Dans sa note du 28 décembre 1955, le chef du cabinet diplomatique suggère qu’une décision soit prise rapidement par le gouvernement français au sujet des confins, de façon à ce que la frontière administrative adoptée à cette occasion puisse être entérinée par des conventions franco-marocaines. Une porte de sortie du Sahara français sur la mer pourrait même être ménagée, si l’on prend soin de placer en dehors du territoire marocain le secteur de côte situé entre Ifni et l’embouchure de Drâa.» (Cabinet militaire du résident général, Fiche, objet: Réorganisation des confins et frontière du Sud du Maroc, ANOM, Aix-en-Provence, Fonds ministériels, 1 AFFPOL/2321)
Le but de cette note, on le voit bien, est que les gisements de Gara Djebilet trouvent leur chemin vers l’Atlantique.




Le séparatisme entre puissances coloniales
La recherche d’une sortie pour le fer de Gara Djebilet entre Ifni et Oued Noun nécessite l’annexion de cette région au profit du Sahara français: la France ne dit mot sur l’Algérie qu’elle cantonnera dans les trois départements du Nord. Mais comme le montre la fiche reproduite ci-haut, l’Espagne a elle aussi manœuvré pour annexer la région entre Ifni et Oued Noun qu’elle appelle le Tekna. Les autorités françaises parlent des machinations espagnoles qui ont gouverné la région de Tarfaya et la Sâqiya El Hamra depuis Tétouan et donc grâce à l’autorité du Khalife du Sultan entre 1947 et 1956.
Le refus de Mohammed V de négocier avec la France allait ruiner le projet français. (in Benjamin Stora, «Algérie-Maroc, histoires parallèles, destins croisés», Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.25)
Mais c’est une avalanche de représailles et de vengeances qui vont s’abattre sur le Maroc contrairement à l’Algérie qui a récolté les fruits de cette guerre de libération menée par le Maroc.
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