Les frontières évoquées par Boualem Sansal, telles que documentées par les archives coloniales

Karim Serraj.

ChroniqueEn tant qu’intellectuel, Boualem Sansal a été amené à explorer la littérature coloniale du 19ème siècle sur son pays, qui révèle la question des frontières maroco-algériennes dans des cartographies et des récits qui heurtent aujourd’hui le régime d’Alger. Son crime? Avoir évoqué en tant qu’écrivain des cartes et des livres historiques, dont nous présentons quelques exemples, qui parlent du passé où Oran, Tlemcen, Mascara étaient des villes marocaines. L’Histoire est l’Histoire, mais le régime d’Alger ne veut entendre que le récit national factice qu’il sert dans ses outils de propagande.

Le 01/12/2024 à 10h59

Sans doute, cet illustre écrivain a parcouru les méandres de la littérature coloniale du 19ème et du début du 20ème siècle, où s’entrelacent récits et cartographies de la frontière marocaine incluant Oran, Tlemcen, Mascara, Tindouf, etc. Boualem Sansal a trébuché sur ces ouvrages périlleux pour le régime d’Alger, qui brûlent encore à l’ombre des contrebandiers de l’Histoire, trop lourds de vérités, et a dû les ouvrir, les lire durant des mois, des années peut-être, déployer leurs cartes étonnantes où le Maroc s’en va «gros», enceint dans un Est gorgé de populations, jusqu’à Gourara ou Touat.

De Rarécourt, Marçais, Mercier sur Tlemcen marocaine

Sansal a probablement lu «Oran, Tlemcen, Sud-Oranais (1899-1900)» publié en 1903 par Claude de Rarécourt. Quelle histoire de Tlemcen et de Mascara! De Rarécourt parle de la région «après la conquête d’Alger par les Français», lorsque le «Sultan du Maroc jugea le moment favorable», à l’instar «de ses prédécesseurs», de démontrer que les terres faisaient partie de l’Empire chérifien. La population de la région de Tlemcen «se trouvait alors partagée en deux factions, avec d’un côté les Coulouglis, issus de Turcs et de femmes indigènes, et de l’autre les Maures ou Hadars paraissant représenter la descendance des anciens habitants du pays». Claude de Rarécourt précise que les «Maures sont les compatriotes des Marocains» et qu’ils «leur firent bon accueil» à Tlemcen. Il évoque une cité gouvernée le plus souvent par la coalition des Maures, ces derniers faisant allégeance au Sultan. Il ajoute aussi que «le Sultan, né de race chérifienne, jouissait d’un grand prestige religieux en Afrique occidentale». Sur les cartes de l’époque, comme celle du dictionnaire Larousse en 1866, les villes de Tlemcen et d’Oran font partie du Maroc:

Boualem Sansal a dû lire aussi «L’architecture musulmane d’Occident» (1954) de Georges Marçais, où Tlemcen, avant la colonisation française de l’Algérie, est un maillon essentiel des caravanes, sous l’autorité directe des souverains marocains: «Les marchands de Tlemcen commerçaient régulièrement avec Fès et Marrakech, et les oulémas de la ville reconnaissaient la légitimité des sultans marocains.»

Selon un autre livre d’Ernest Mercier, «Histoire de l’Afrique septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu’à la conquête française» (1888), la grande région de Tlemcen était intégrée culturellement et administrativement depuis le moyen-âge au Maroc, «une plate-forme de premier ordre servant de point d’appui aux expéditions marocaines vers l’est», et de «marché caravanier sur la route de Tindouf et de Tombouctou».

Les impôts du Maroc sur la ville d’Oran

En 1900, René Basset, dans «Mission à Nedromah et chez les Traras», consacre plusieurs pages à la gouvernance d’Oran. L’épopée des Alaouites à Oran est ressuscitée, jetant une lumière crue sur les interactions complexes entre cette dynastie et la ville. Parmi les figures marquantes, il évoque «Mawlay Ismaïl» (1672-1727), ce sultan bâtisseur et redouté, «qui étendit son autorité jusqu’à Ayn-Madi en imposant un impôt symbolique», véritable affirmation de souveraineté sur la région. Quelques décennies plus tard, «Mawlay al-Yazid» (1790-92) intensifia cette dynamique «en introduisant un nouvel impôt frappant chaque maison d’Oran», affirmant la dimension fiscale dans les relations entre la ville et le pouvoir chérifien. Ces actes fiscaux, bien qu’ancrés dans la logique politique et administrative de l’époque, suscitent chez l’auteur une admiration palpable. Pour Arnaud, ils représentent une facette pragmatique du pouvoir alaouite, une affirmation d’autorité et un levier de contrôle. Pour autant, ces épisodes illustrent le rôle actif des Alaouites dans l’histoire d’Oran, témoignant de l’importance stratégique de la ville dans le projet politique du sultanat marocain.

Bien qu’écrit par un colon convaincu, le texte de René Basset contient un aveu précieux sur les liens historiques entre Oran et le Maroc. Basset y confie, presque à contrecœur, les découvertes qu’il a faites en étudiant les archives locales. Ayant eu accès à la correspondance des cheikhs et des communautés maraboutiques de la région, il déclare: «J’ai trouvé dans la correspondance des cheikhs de cette zaouyah avec les chérifs du Maroc, la preuve des relations que ces princes entretenaient avec eux.» Cette révélation, issue des manuscrits précieusement préservés par les zaouias au fil des générations, met en lumière des liens profonds et complexes d’allégeance politique et religieuse qui unissaient Oran au sultanat chérifien.

Tindouf «grand marché du Sud marocain»

Est-il tombé, Boualem Sansal, sur les passages écrits sur Tindouf en 1895 par François Rebillet?

Dans «Les relations commerciales de la Tunisie avec le Sahara et le Soudan», cet auteur désigne sans détour Tindouf comme «grand marché du Sud marocain» qui relie le Royaume chérifien à Tombouctou. «Tindouf s’approvisionnait de marchandises à Mogador (Essaouira), du cap Juby (au nord de Tarfaya, face aux îles Canaries) et dans la ville de Ifni». Selon l’auteur, le «chiffre d’affaires que faisait Tindouf avec le Soudan était de 1.700. 000 francs anciens, avant notre occupation de Tombouctou».

Sur le territoire marocain, Tindouf apparait comme un carrefour commercial reliant le sud marocain, le Sahara, et le Soudan. «Tindouf, grand marché du Sud marocain» jouait un rôle central dans les échanges transsahariens, notamment grâce à son approvisionnement en marchandises européennes venant de ports clés tels que Mogador, Cap Juby et Ifni.

D’autres auteurs considèrent également Tindouf comme une ville marocaine:

Maréchal Hubert Lyautey: il martelait dans ses écrits que Tindouf et Colomb-Béchar faisaient partie intégrante du territoire marocain. Il affirmait que l’administration marocaine s’exerçait sur la vallée de Tindouf, qui dépendait du khalifa du Tafilalet, et que ses caïds étaient nommés par dahir du Sultan du Maroc.

Oscar Lenz: cet intellectuel allemand, qui occupa la chaire de géographie de l’Université de Prague, a résidé pendant deux ans au Maroc (1886-1887) et a séjourné à Tindouf et dans la région du Sud-est marocain, affirmant que depuis Tindouf jusqu’aux confins de la province de Touat, les cinq provinces appartiennent nominalement au sultanat du Maroc: «Ces oasis se divisent du nord au sud en cinq provinces (…) Tout le groupe des oasis appartient nominalement au sultanat du Maroc, aussi bien que le Touat (…) ils font avec Timbouctou et le Soudan un commerce qui n’est pas sans importance.»

Défendre Boualem Sansal au nom de la vérité historique

Boualem Sansal a jeté un pavé dans la mare, en remuant le sujet qui fait le plus mal au régime d’Alger: l’absence d’une nation algérienne avant la colonisation française. Ce sujet est un enfer pour le régime qui s’attache à le maquiller par mille et un narratifs factices. Même le président Emmanuel Macron s’est interrogé sur l’existence d’une nation algérienne avant 1830. Puisque Boualem Sansal est embastillé par le régime d’Alger pour le motif de porter atteinte aux frontières, ce sujet devrait faire l’objet de l’intérêt des historiens, des intellectuels, des curieux, des avocats… En somme de toutes les personnes de bonne volonté qui veulent aider à soustraire un écrivain et un esprit libre à une junte sanguinaire et irrationnelle.

Boualem Sansal n’a jamais revendiqué l’annexion de ces frontières par le Maroc. Il s’est contenté de rappeler des faits historiques, mais qui continuent d’habiter la mémoire des livres, comme des ombres tenaces.

Boualem Sansal n’est ni un traître à l’Algérie ni un provocateur. Son parcours intellectuel l’a conduit à explorer la littérature coloniale, les récits enfouis et les vérités parfois dérangeantes.

Son seul tort est d’avoir évoqué des ouvrages que d’autres auraient préféré faire disparaître dans un autodafé.

Par Karim Serraj
Le 01/12/2024 à 10h59