«L’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens», a dit l’historien Mohamed Harbi. À elle seule, cette phrase résume le non-dit existentiel d’un pays dont l’histoire officielle navigue entre les falaises de la réalité et les écueils de l’illusion à travers une histoire inventée. Sorte de «paradis» historique artificiel, cette dernière est construite autour de mythes auxquels aucun historien sérieux ne croit, mais qui sont devenus autant de dogmes.
Enfer des Algériens, leur propre histoire?
Oui, parce qu’elle ramène constamment les historiens régimistes à des évidences qu’ils nient, ce qui rend difficile sinon impossible toute analyse rationnelle.
Paradis des Algériens, leur propre histoire?
Là encore, oui, parce que, pour oublier le réel, ces mêmes historiens officiels s’accrochent à une histoire nationaliste fabriquée.
L’origine de la manipulation sur laquelle est construite l’histoire officielle de l’Algérie remonte au moment de l’indépendance, quand il fallut donner une cohérence aux différents ensembles composant le pays. La nécessité de l’unité se fit alors à travers un nationalisme arabo-musulman niant la composante berbère du pays. L’arbre historique algérien fut alors coupé de ses racines.
L’histoire qui fut alors écrite postula également l’unité de la population levée comme un bloc contre le colonisateur, à l’exception toutefois d’une petite minorité de «collaborateurs», les Harkis. Or, la vérité est que, tout au contraire, les Algériens ayant combattu dans l’armée française avaient été plus nombreux que les maquisards…
À la différence des registres «extensibles» de l’Association des Moudjahidine, l’armée française a tenu des fiches d’incorporation, de traitement, de pension, de démobilisation, etc., ce qui permet de démontrer qu’au mois de janvier 1961, alors que le processus menant à l’indépendance était clairement engagé, environ 250.000 Algériens servaient dans l’armée française, à savoir:
- 60.432 appelés,
- 27.714 engagés,
- 700 officiers,
- 4.600 sous-officiers,
- 63.000 Harkis,
- 88.700 membres des groupes d’autodéfense militarisés.
Selon le 2ème Bureau français, au mois de mars 1962, à la signature des accords d’Evian, les combattants nationalistes de l’intérieur étaient estimés à 15.200, tant réguliers qu’auxiliaires, et ceux de l’extérieur (l’ALN, ou armée des frontières) étaient 22.000 en Tunisie et 10.000 au Maroc. Les effectifs combattants des indépendantistes étaient donc au total de 50.000 hommes en armes, contre près de 250.000 dans l’armée française, soit cinq fois moins.
Les sources algériennes avant les manipulations des dernières années n’indiquent pas de grosses différences par rapport aux sources françaises. Dans son livre publié en 1997, Benyoucef Benkhedda, dernier président du GPRA, écrit ainsi qu’à la fin de la guerre, les maquis de l’intérieur comptaient 35.000 combattants (15.200 pour les sources françaises), à savoir 7.000 pour la wilaya I, 5.000 pour la II, 6.000 pour la III, 12.000 pour la IV, 4.000 pour la V et 1.000 pour la VI.
Comme les effectifs de l’ALN, l’armée des frontières, sont connus, à savoir un peu plus de 30.000 hommes, selon les chiffres donnés par les nationalistes algériens, les effectifs combattants nationalistes étaient donc d’un peu moins de 70.000 hommes, soit quasiment un quart des 250.000 Algériens qui servaient alors dans l’armée française. Dont acte!
La manipulation de l’histoire touche également les périodes plus anciennes. L’histoire officielle de l’Algérie présente ainsi Tlemcen ou Bougie comme des pré-Algéries, alors que, et je l’ai déjà montré dans plusieurs chroniques, nous sommes en présence de brillantes principautés n’ayant jamais constitué de noyaux pré-étatiques algériens. Au même moment, avec Fès et Marrakech, le Maroc développait des empires à travers ses dynasties, qu’il s’agisse des Almoravides, des Almohades, des Saadiens, des Mérinides et des Alaouites. Rien de tel en Algérie. De plus, prises en étau entre le Maroc et Tunis, l’autonomie de Bougie et de Tlemcen ne fut que ponctuelle.
Les Turcs ne favorisèrent pas davantage l’évolution vers l’État-nation. Aussi, en 1830, quand l’armée française débarqua à Sidi Ferruch, l’Algérie n’existait toujours pas. Ce fut la France qui la créa en rassemblant ses régions, en y rattachant des territoires historiquement marocains, en lui donnant son nom et ses frontières et en l’ouvrant sur un Sahara qu’elle n’avait par définition jamais possédé.