Dès les années 1960, certains responsables espagnols en poste au Maroc, tels que le général García Valiño, reconnaissaient la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et ont manifesté leur position, officiellement, de rétrocéder au Maroc ses terres méridionales. Le général García Valiño, ancien Résident général d’Espagne dans la zone Nord du Maroc, avait déclaré dans une interview le 9 avril 1969 à la MAP: «À mon avis, le droit est du côté du Maroc, mais dans un premier temps, un accord économique devrait être signé entre Rabat et Madrid en vue de permettre l’exploitation des richesses de cette région… La question de la souveraineté devant être réglée par la suite en faveur du Maroc».
À Washington, l’opinion du général Garcia Valiño n’a pas laissé indifférent. Ainsi, l’ambassadeur de France aux États-Unis, Charles Lucet, écrit au ministre français des Affaires étrangères, Michel Debré, le 24 avril 1969 pour l’avertir que les États-Unis suivent avec beaucoup d’intérêt la situation: «Dans les services compétents du Département d’État, on a relevé avec beaucoup d’intérêt les récentes déclarations du général Garcia Valiño aux termes desquelles l’ancien résident général espagnol au Maroc s’est prononcé pour une formule revenant, en fait, à donner au Maroc le Sahara espagnol, moyennant quelques arrangements sur le plan économique».
Cependant, malgré ces voix espagnoles en faveur de la marocanité du Sahara atlantique, les manœuvres algériennes se sont intensifiées avec l’arrivée de Mouammar Kadhafi au pouvoir en Libye en septembre 1969.
Retour aux sources des intrigues coloniales et postcoloniales
Dès l’époque coloniale, l’armée algérienne contactait les Espagnols à El Mahbes par radio pour échanger des informations et s’allier contre l’Armée de Libération marocaine au Sahara. L’un des acteurs clés de cette période, Houari Boumediene, vivait alors entre Nador et Oujda et bénéficiait du soutien des Marocains durant la guerre d’indépendance. Les documents des services secrets français montrent que ces échanges ont perduré jusqu’en 1962, notamment lors de l’annexion de Tindouf.
À partir de 1969, l’Algérie, par l’intermédiaire du journal La Dépêche d’Oran, a assuré la couverture médiatique de la création d’un mouvement de libération de la Saguia el-Hamra et d’Oued Eddahab. Ceux qui affirment que le Polisario est né grâce à l’assistance de Mouammar Kadhafi devraient revoir leur copie, car les liens entre l’Algérie et le mouvement de libération de la Saguia el-Hamra et d’Oued Eddahab remontent à une période antérieure au coup d’État ayant renversé le roi Idris Senoussi en Libye.
Nous sommes donc dans le contexte du traité de bon voisinage d’Ifrane, signé le 15 janvier 1969 entre le Maroc et l’Algérie, représentés respectivement par les ministres des Affaires étrangères Ahmed Laraki et Abdelaziz Bouteflika. Cependant, l’Algérie va également signer un traité avec le royaume de Libye le 1er février 1969. La stratégie algérienne consistait à montrer patte blanche, notamment par le biais de la visite de la flotte de guerre algérienne aux ports de Casablanca et de Tanger du 11 au 16 janvier 1969. Cette visite a été interprétée comme un geste concret en faveur de la détente des relations bilatérales entre les deux pays.
Le désengagement secret de l’Algérie du traité d’Ifrane de 1969 et du traité frontalier de 1972 ne s’est pas produit de manière immédiate ni officielle, mais il a été marqué par une série d’événements et de changements stratégiques progressifs.
1. La récupération de Sidi Ifni par le Maroc (30 juin 1969): Bien que cet événement ait été un moment symbolique important pour le Maroc, il n’a pas directement provoqué le désengagement algérien des accords bilatéraux de 1969 et 1972. Cependant, il a marqué un tournant dans les relations maroco-algériennes, alimentant les préoccupations d’Alger sur la question des frontières et les ambitions sur les territoires marocains.
2. Rencontre de Tlemcen (27 mai 1970): La rencontre de Tlemcen entre Houari Boumediene et Hassan II avait initialement pour objectif de renforcer la coopération entre les deux pays. Cependant, elle s’est révélée être un point de basculement, car c’est à partir de ce moment que l’Algérie a commencé à manifester un intérêt accru pour le Sahara marocain. Cela a marqué un changement d’attitude, car l’Algérie a progressivement cessé de soutenir le Maroc dans ses revendications territoriales pour se concentrer sur la création d’une entité séparatiste au Sahara, jetant les bases du soutien futur au Polisario.
3. Traité frontalier de 1972 : Bien que ce traité ait été signé le 15 juin 1972, il n’a été ratifié par le Maroc qu’en 1992. La période qui a suivi la signature du traité a été marquée par des tensions croissantes et des signes de désengagement algérien, alors que la question du Sahara prenait de l’ampleur dans l’agenda politique de l’Algérie. Le changement de cap algérien est devenu plus évident à partir de 1973 avec l’émergence du front Polisario, soutenu par l’Algérie, ce qui a finalement conduit à une rupture des relations de voisinage prévues par les accords initiaux.
En résumé, le désengagement algérien des traités de 1969 et 1972 a été progressif, marqué par des événements clés comme la rencontre de Tlemcen et le soutien croissant à la cause sahraouie, qui ont contribué à cristalliser le conflit du Sahara occidental et à détériorer les relations maroco-algériennes.
Le projet algérien se précise de plus en plus dans la région
La véritable stratégie algérienne se révèle à travers les échanges entre feu Hassan II et Houari Boumediene durant la période allant de 1969 à 1972. Les archives secrètes indiquent que, lorsque feu Hassan II évoquait l’effacement des séquelles de la colonisation pour aborder la question des frontières, Boumediene répliquait en prônant la «volonté» de constituer un Maghreb uni, sans frontières. Une manœuvre biaisée pour éviter de parler du tracé frontalier.
Après la signature du traité d’Ifrane, aucune information sérieuse n’a filtré sur la question du Sahara marocain. Cependant, l’ambassadeur de Tunisie à Rabat aurait confié au chargé d’affaires français à Rabat, Jean-Claude Winckler, qu’il disposait «d’informations selon lesquelles l’Algérie aurait admis la légitimité des revendications marocaines sur la Saguia el-Hamra».
L’Algérie a même envisagé la question de l’exploitation du gisement de fer de Gara Djebilet et la possibilité d’acheminer le minerai via le port d’Agadir, mais le rapport français indique que l’Algérie ne manifestait pas d’empressement à concrétiser ce projet.
De son côté, le chargé d’affaires français à Rabat souligne le point de vue marocain, qui considère qu’il est nécessaire de soutenir le Maroc pour parachever son intégrité territoriale, tout en envisageant une exploitation commune de la mine de fer et une éventuelle facilitation pour l’exportation du gaz algérien. Selon le même rapport, même l’ex URSS aurait exprimé une certaine compréhension de la thèse marocaine et de son droit historique à être associée à l’exploitation du fer de Gara Djebilet. Cette position a été confirmée par M. Palamartchouk, le représentant de Moscou au Maroc, qui l’a évoquée lors d’un échange avec le chargé d’affaires français, J.-C. Winckler.
La stratégie de Boumediene visait avant tout à régler, selon ses propres termes, les questions de frontières avec le Maroc, la Tunisie et même la Libye, avant de créer un vide propice à son projet séparatiste au Sahara marocain, cette fois soutenu par le nouveau «révolutionnaire» Mouammar Kadhafi. Dans une note des Affaires étrangères françaises de 1970, il était déjà mentionné: «Grande était l’amertume des partenaires de l’Algérie qui, après avoir fait preuve d’un large esprit de conciliation dans le règlement des problèmes frontaliers, voyaient échapper les compensations économiques attendues». L’Algérie croyait alors que l’union du Maghreb devait se faire, exclusivement, sous sa direction.
Après Nouadhibou, les ambitions sont déclarées
Les archives secrètes de La Courneuve, en 1970, soulignent après la conférence de Nouadhibou qui rassemblait le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie (représentée par Abdelaziz Bouteflika), qu’Alger, bien qu’observateur par décision juridique, restait une partie impliquée par des faits avérés: «L’Algérie est favorable à la constitution d’un État indépendant qui lui permettrait de maintenir une marge de manœuvre dans cette région». Cependant, cette position contredit les déclarations algériennes lors de la conférence d’Alger en 1972.
Après la visite de Mouammar Kadhafi à Nouakchott et à Atar en Mauritanie, marquée par des propos ambigus, une nouvelle rencontre entre les dirigeants du Maghreb, initialement prévue pour le 16 mars 1972, a été reportée pour préparer la signature du traité des frontières, qui n’interviendra qu’en juin 1972. Selon le journal El Alam, Kadhafi a omis de lier la libération du Sahara à celle du Maroc.
Dans tous les cas, l’Algérie a cherché à jouer toutes ses cartes dans l’affaire du Sahara marocain, notamment après 1972. Le jeu entre la proie et l’ombre résume bien cette histoire, car l’Algérie a tout misé sur un «État indépendant» soumis et vassalisé qui lui permettrait d’avoir un corridor sur l’Atlantique. Des moyens financiers, diplomatiques et militaires considérables ont été dépensés à cette fin. En vain!