La politique algérienne définie par l’empereur Napoléon III (voir la chronique intitulée Napoléon III et l’Algérie) fut farouchement combattue par les colons qui devinrent de fermes opposants à l’Empire et qui, par réaction, se rallièrent à l’opposition républicaine.
Au mois de septembre 1870, l’effondrement de l’Empire fut donc accueilli dans la joie par une partie de la population européenne d’Algérie, qui se mit alors à croire qu’elle allait pouvoir s’affranchir du régime militaire qu’elle dénonçait comme hostile à la colonisation terrienne.
Fin octobre 1870 furent ainsi créés des communes insurrectionnelles, ou des «comités républicains», à Alger, Oran, Constantine, Philippeville et Bône. Le 30 octobre, Alger passa ainsi sous le contrôle d’un avocat, Romuald Vuillermoz, déporté républicain de 1848 qui s’autodésigna «Commissaire civil extraordinaire par intérim», proclama le régime civil et exigea la suppression des Bureaux arabes.
Les insurgés furent écoutés par le gouvernement provisoire qui confia l’Algérie au garde des Sceaux, Adolphe Isaac Crémieux (1796-1880), ancien président du Consistoire central israélite de Paris et président de l’Alliance israélite universelle, qui fit adopter les décrets portant son nom.
Investi des pleins pouvoirs, cet adversaire déterminé du régime militaire promulgua 58 décrets en moins de 5 mois. Son but était de couler l’Algérie dans le moule français et de la soumettre au même régime que les départements de la métropole, ayant des préfets à leur tête et une représentation au Parlement.
La condition posée à la communauté juive et aux musulmans pour obtenir la nationalité française était de renoncer à plusieurs pratiques incompatibles avec le Code civil français, dont la polygamie. À la différence des musulmans, qui souhaitèrent conserver leur statut civil et religieux, les israélites acceptèrent que leur statut réel et leur statut personnel soient désormais réglés par la loi française. C’est pourquoi ils furent déclarés citoyens français par les décrets du 24 octobre 1870, qui faisaient d’eux des citoyens français de plein exercice, à la différence des musulmans qui étaient des sujets de la République.
Les décrets du 24 octobre 1870 plaçaient également l’Algérie sous l’autorité d’un gouverneur général civil dépendant du ministère de l’Intérieur.
Le régime civil républicain succéda donc au régime militaire. Son jacobinisme, le mépris qu’il afficha pour les populations indigènes et son laïcisme, qui fit passer ses représentants pour des mécréants aux yeux des musulmans, exercèrent des ravages et provoquèrent un traumatisme que l’Algérie française ne surmonta jamais.
C’est cette politique que refusa Lyautey dès son arrivée au Maroc quand, d’une phrase, il résuma sa vision, qui était de ne pas «algérianiser» le Maroc, c’est-à-dire, de ne pas appliquer dans ce vieil État, dans ce vieux royaume, les principes jacobins qui avaient dévasté l’Algérie.