L’Affaire du Cap Sigli: un mensonge créé par l’Algérie et inscrit à l’ONU pour nuire au Maroc

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniqueDécembre 1978. Alors que Boumediene vit ses derniers jours, l’Algérie invente une fiction stratégique: un prétendu parachutage d’armes marocaines au Cap Sigli. Cette mise en scène, née dans les hautes sphères du régime, cherche à détourner l’attention d’une crise interne et à rallumer la flamme de l’ennemi extérieur. Retour sur un mensonge d’État orchestré à la veille d’un basculement politique majeur.

Le 23/03/2025 à 10h57

Incapable de faire face à une crise interne liée à la maladie grave du président Boumediene dont il mourra quelques jours plus tard le 28 décembre 1978, le régime d’Alger a créé de toute pièce une affaire de parachutage d’armes non loin du Cap Sigli le 10 décembre 1978. Ce fut le temps de la mise sur le marché de l’idéologie d’un produit en vogue: «l’expansionnisme marocain». Le Maroc dont 1/3 du territoire fut annexé au profit de l’Algérie et qui subit depuis 1962 jusqu’à nos jours les conséquences d’un conflit artificiel créé par ce même régime d’Alger. Retour sur un mensonge «parachuté» depuis la haute sphère de l’État algérien comme l’atteste la lettre écrite par le ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, et envoyée aux instances onusiennes. Une lettre qui utilise comme un tremplin la question du Cap Sigli pour rebondir sur le soutien au Polisario.

L’intangibilité des mensonges hérités de la guerre froide

Dans le contexte d’une crise interne liée à la maladie de Boumediene, l’Algérie va larguer «un mensonge» lié à l’affaire des armes retrouvées au large du lieudit Cap Sigli à 150 km à l’est d’Alger. L’affaire a pris une dimension internationale, puisque le protégé de Boumediene, Abdelaziz Bouteflika, allait même jusqu’à s’adresser à l’ONU pour protester contre une «violation marocaine de l’intégrité territoriale de l’Algérie» survenue le 10 décembre 1978 à partir de la Base aérienne de Kenitra via un Hercule C-130.

Entre le prétendu largage d’armes survenu le 10 décembre 1978, la réunion du Conseil de la révolution algérienne le samedi 16 décembre et l’envoi de la lettre de protestation au président du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, le 24 décembre 1978, le but ultime fut celui d’attirer l’attention sur le Polisario en passant par le Cap Sigli et de mobiliser le peuple algérien en cas de décès du président Boumediene.

La réaction marocaine n’a pas tardé puisque le 19 décembre, l’Agence de presse Belga publie un communiqué de l’ambassadeur du Maroc à Bruxelles en réponse aux accusations algériennes. La nouvelle fut rapportée dans une lettre envoyée au ministre des Affaires étrangères, Jean-François Poncet, par l’ambassadeur de France à Bruxelles, Francis Hure.

La réponse marocaine rappelle d’une manière intéressante l’actualité algérienne: «Le Maroc a accueilli avec un grand étonnement ces accusations que le ministère d’État chargé de l’information dément de la manière la plus catégorique, tout en stigmatisant ces accusations algériennes qui ne reposent sur aucun fondement. Le ministre d’État chargé de l’information dénonce les véritables mobiles qui ont poussé le Conseil de la révolution et le gouvernement algérien réunis d’une manière spectaculaire, après une très longue absence, à recourir à de telles allégations au moment où l’Algérie vit une conjoncture très délicate caractérisée par une pénible psychose interne. Le ministre d’État chargé de l’information tient à affirmer qu’il ne peut s’agir que d’une opération inventée de toutes pièces et dont le but est de détourner l’opinion publique algérienne des véritables problèmes que connaît le régime et de la mobiliser contre un danger extérieur imaginaire».

La réponse marocaine est d’une actualité criante. Elle vise non seulement à discréditer les allégations algériennes, mais livre un diagnostic irréfutable du mode opératoire du régime d’Alger qui pointe un doigt accusateur vers le Maroc chaque fois qu’il n’arrive pas à gérer une crise intérieure. Ce mode opératoire, datant de 1978, est le même auquel recourt le régime d’Alger en 2025. Le logiciel des caciques du régime est irrémédiablement implanté dans une période antérieure à la chute du mur de Berlin.

Le mensonge algérien décrit dans les archives secrètes

La France, par ses services diplomatiques, mais aussi ceux du renseignement, a établi preuves à l’appui que les allégations algériennes sont infondées et constituent une fuite en avant du régime. Le Maroc, tout comme la France, a assisté à partir du 19 décembre 1978 à cet appel à la mobilisation générale qui rappelle la situation de l’Algérie le lendemain de la guerre des Sables en 1963 et le cri mensonger d’Ahmed Ben Bella: «Hagrouna les Marocains» (Les Marocains nous ont humiliés).

En effet, le communiqué de l’ambassade de France à Alger, datant du 19 décembre, rapporte ceci: «La campagne de vigilance et de mobilisation des masses lancée depuis deux jours prend une grande ampleur. Elle fait pratiquement passer au second plan les messages de sympathie et de rétablissement à l’intention du président Boumediene. Ahmed Salah Yahiaoui, responsable exécutif chargé de l’appareil du FLN, après avoir reçu avant-hier le bureau de l’UGTA, s’est entretenu hier après-midi avec les secrétaires nationaux des autres organisations de masses: jeunes (UNJA), paysans (UNPA) et femmes (UNFA). Yahiaoui a invité ses interlocuteurs à demeurer toujours vigilants et mobilisés pour faire face à des défis, tel que ‘l’Acte criminel commis par le Régime de Rabat’. C’est sur le même thème que la télévision algérienne a axé son journal d’hier.» (Direction des Affaires politiques, Algérie-Maroc, relations bilatérales, Série A 14, Archives de La Courneuve)

Cette mobilisation générale est survenue à la suite de la réunion du Conseil de la révolution et du gouvernement algérien, mais elle sera surtout couronnée par la lettre du ministre des Affaires étrangères, Bouteflika, envoyée au président du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. C’est dans le contexte de la maladie et surtout du décès du président Boumediene que le régime d’Alger a su trouver, comme à l’accoutumée, un ennemi extérieur:

La lettre de Bouteflika destinée au président du Conseil de sécurité

La lettre date du 21 décembre 1978, onze jours après l’incident présumé du largage d’armes et sept jours avant le décès de Boumediene. Mais c’est une lettre qui réalise l’exploit d’inscrire au grand jour, dans les instances onusiennes, «un mensonge d’État». Le ministre Bouteflika s’adresse au président du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, pour signaler avec précision un incident grave, mais sans doute basé sur le témoignage de personnes: «L’Opération de parachutage a été organisée et exécutée à partir du Maroc par les services de la Direction générale des études et documentation placés sous la direction du colonel-major Dlimi. Le colonel Harchi, assisté du lieutenant-colonel Hosni Mostefa et du capitaine Hassen, tous de la direction générale des études et documentation, ont été chargés de réaliser cette opération. L’avion Hercule C-130 avec son chargement a quitté la base de Kenitra le dimanche 10 décembre 1978 à 19 heures 45 pour passer à la verticale de Cap Sigli à 22 heures 30». (Direction des Affaires politiques, Algérie-Maroc, relations bilatérales, Série A 14, Archives de La Courneuve)

Le ministre algérien a déploré cette opération et rappelle que: «Les services de sécurité aussitôt alertés par les populations ont récupéré la cargaison (des armes et explosifs). L’enquête menée par ces mêmes services a contribué à établir d’une manière certaine et indiscutable l’identité de l’aéronef. Il s’agit d’un avion militaire marocain de type Hercule C-130».

La lettre qui mène vers le Polisario

L’objectif de cette invention fut celui de s’entourer du soutien des pays amis et surtout d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur la question du Sahara marocain en faisant le parallèle entre le prétendu largage d’armes et «l’agression marocaine» contre les Sahraouis.

La deuxième page de la lettre de Bouteflika est consacrée à la question du Sahara atlantique: «L’Algérie attire l’attention de la Communauté internationale sur les graves conséquences pouvant découler de tels actes qui font d’ailleurs suite aux menaces répétées de violations de frontière proférées par le Maroc. Ce dernier ne cesse, par ailleurs, au mépris de la morale internationale, de s’opposer par la force au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance, tout récemment encore, confirmé d’une manière solennelle par l’Assemblée générale des Nations unies».

La suite de la lettre parle de la question du Sahara jusqu’à presque oublier l’affaire du Cap Sigli. Il serait donc intéressant de faire une comparaison entre l’autodétermination du Polisario et celle de l’Algérie en 1962.

Affaire Cap Sigli et autodétermination: le point de vue français

Dans un communiqué (3178/83) émanant de l’ambassade de France à Alger en date du 24 décembre 1978, donc trois jours après la lettre de protestation de Bouteflika, on taxe cette affaire d’«absurde». Le communiqué précise: «Quant à l’affaire elle-même, de quelque côté qu’on la retourne, elle paraît absurde, surtout si l’on considère le niveau des ‘Complices’ algériens mis en avant par les moyens d’informations».

Selon le rapport de Tristan d’Albis, secrétaire des Affaires étrangères, la question du Sahara constitue pour Boumediene un outil pour «faire tomber le régime» au Maroc et rétablir «l’équilibre d’avant 1975». Le même rapport rapporte clairement le rôle clef joué par l’Algérie dans le conflit et surtout dans la création du Polisario: «Créé de toutes pièces par l’Algérie à la veille de l’indépendance du Sahara, le phénomène sahraoui a bénéficié du soutien de ce pays tant sur le terrain que sur la scène internationale; cet appui sans limites différencie ce mouvement révolutionnaire de tous les autres (le mouvement kurde et le mouvement dhofar soutenus respectivement par l’Irak et le Yémen du Sud) et explique la rapidité de sa croissance». (Direction des Affaires politiques, Algérie-Maroc, relations bilatérales, Série A 14, Archives de La Courneuve)

La manœuvre a fait pschitt

La suite logique des événements entre le 10 et le 28 décembre montre qu’il s’agit d’un montage de mauvais goût, mais efficace pour s’attirer les sympathies des pays ayant disparu depuis (la Libye de Kadhafi, la Syrie de Hafed el-Assad et le Yémen du Sud) et créer les conditions idéales pour une mobilisation des populations algériennes.

La presse marocaine publiée les 18 et 19 décembre dénonce un complot algérien visant à camoufler une situation interne marquée par une lutte larvée pour la succession. Le journal de l’USFP, al-Mouharrir, parle quant à lui, de «Développer les mêmes thèmes que les autres journaux, soulignant que dans un pays où la Démocratie est absente, ces accusations servaient à détourner l’attention du peuple algérien du problème qui se pose actuellement avec acuité, à savoir celui du pouvoir.» (Communiqué N°2993-96, de l’Ambassade de France à Rabat, le 19 décembre 2025)

Il est important de signaler que le communiqué du Conseil de la révolution datant du 16 décembre a été repris presque à la lettre par Bouteflika dans sa lettre destinée à l’ONU. Les textes de la lettre et du communiqué sont ici reproduits pour mieux témoigner de l’invention d’un scénario. Ce communiqué fut envoyé, via l’ambassade d’Algérie à Paris, au ministre des Affaires étrangères français, le 18 décembre 1978:

Le ministre français a sans doute ordonné une enquête sur cet incident. Le secrétaire général des Affaires étrangères, Tristan d’Albis, ainsi que le diplomate France de Hartingh, seront chargés de l’enquête. France de Hartingh rapporte que: «Le Maroc, qui a toujours agi et qui s’est toujours comporté en conformité avec l’éthique qui doit régir les rapports entre États, ne saurait recourir à de tels procédés. Bien plus, c’est le Maroc qui n’a cessé de subir et de stigmatiser les agressions répétées menées contre lui, au grand jour, à partir du territoire algérien.»

Mais, c’est depuis l’Ambassade de France à Rabat que fut envoyé un télégramme urgent et secret: «Les précisions fournies mercredi soir par les moyens d’informations algériens et reprises par l’AFP appellent les observations suivantes: 1-Il est normal que les services algériens connaissent les noms de certains responsables de la Direction générale des études et documentation marocaine, sans que ceci indique pour autant leur participation à l’affaire. Au demeurant les Curriculum Vitae diffusés par Alger comportent certaines erreurs: -Le Colonel Harchi n’est pas attaché militaire au Caire, mais en poste à Rabat. Le lieutenant-colonel Mustapha Hosni se trouve par contre au Caire, où il est surtout spécialisé dans les problèmes du Proche-Orient. Quant au capitaine Hassen, ce nom est inconnu et paraît incomplet. 2-Le C-130 immatriculé CN-AOA existe dans les Forces royales air. Il est facile pour les services algériens de se procurer les indicatifs marocains. 3-Le commandant Driss Lemzouri commande actuellement en second la base de Kenitra où stationnent les C-130. Il est très connu en Algérie pour y avoir effectué de nombreux déplacements avant les difficultés nées de l’affaire saharienne. De source à protéger, j’apprends que le commandant Lemzouri vient de passer un certain temps comme adjoint du commandant de Base de Laâyoune et qu’il n’est rentré à Kenitra que vers le 16/17 décembre. Il ne pouvait donc se trouver au Cap Sigli le 10 (décembre 1978).»

Mais c’est du côté d’Alger et par la voix de l’ambassadeur de France, De Commines, que le démenti fut catégorique. De Commines affirme que: «Tout cela montre que les responsables, devant une certaine apathie de l’opinion qui s’est installée depuis la maladie du chef de l’État, entendent la sensibiliser sur le thème des atteintes à l’intégrité nationale. Il se peut qu’il s’agisse de la préparer à des décisions rapides d’ordre interne dès que sera annoncé le décès du président». (De Commines, Campagne de mobilisation et de vigilance, Alger, le 19 décembre 1978, Télégramme N°3122/26. Direction des Affaires politiques, Algérie-Maroc, relations bilatérales, Série A 14, Archives de La Courneuve)

Quels enseignements tirer de l’affaire Cap Sigli? Il y en a beaucoup: le régime d’Alger pointe un doigt accusateur sur un ennemi extérieur pour faire diversion sur ses problèmes internes. Il ne craint pas de surligner et de grossir le trait, ni de se ridiculiser auprès de la communauté internationale. Les schèmes auxquels recourt ce régime pour agresser le Maroc n’ont pas changé depuis 1962. Il faut lister les mensonges d’État du régime d’Alger et les inscrire dans un livre à enseigner dans les écoles publiques, privées et militaires. Les Marocains ne connaîtront qu’animosité et hostilité de l’Algérie tant que le régime, mis en place par Boumediene, ne sera pas tombé.

Par Jillali El Adnani
Le 23/03/2025 à 10h57

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