Le refus du président tunisien Habib Bourguiba de jouer le rôle de médiateur lors de la guerre des Sables a marqué un tournant stratégique pour l’Algérie. Celle-ci a alors choisi de s’appuyer sur l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et sur le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, inscrivant ces outils diplomatiques au cœur de sa confrontation avec le Maroc.
Par cette habile manœuvre diplomatique, le conflit frontalier entre le Maroc et l’Algérie n’a jamais été définitivement tranché. Il s’est paré de fausses intentions, les objectifs réels de l’Algérie étant soigneusement occultés par le comité ad hoc de l’OUA. Les alliances tissées par Alger avec les pays dits «progressistes» ont renforcé cette stratégie, lui offrant un levier à la fois salutaire et commode pour mobiliser ses alliés, déployer ses pions et poursuivre son ambition d’hégémonie sur l’Afrique subsaharienne et le Maghreb.
L’OUA, un cheval de Troie pour l’Algérie
Fidèle à cette approche, l’Algérie a cherché à confiner la question du Sahara marocain au cadre exclusif de l’OUA, écartant volontairement des instances plus légitimes comme le Maghreb ou la Ligue arabe. Cette tactique n’a pas échappé au monde arabe, qui a rapidement perçu les véritables intentions algériennes et leur volonté de s’allier avec des partenaires d’une tout autre nature.
L’Algérie n’a pas hésité à manipuler l’OUA après les conférences d’Addis-Abeba et de l’île Maurice, quitte à risquer une fracture au sein de l’organisation. Ce qui importe réellement au pays voisin, ce n’est pas l’unité du continent, mais la consolidation d’un bloc africain favorable à ses intérêts.
Dans un rapport daté du 22 juillet 1976, adressé au ministre des Affaires étrangères, Jean Sauvagnargues, l’ambassadeur de France à Alger, Guy de Commines, résume la situation en des termes clairs:
«L’Algérie n’hésite pas, lorsqu’elle sent le succès à portée de main, à prendre le risque d’une cassure au sein de l’organisation africaine, l’unité à laquelle elle se dit pourtant fort attachée. Mais il s’agit, pour elle, comme l’avait expliqué le ministre du Commerce, M. Yaker, après le sommet extraordinaire consacré à l’Angola, de pousser l’OUA à revenir à sa conception originelle, celle d’une organisation dont le soutien absolu aux luttes de libération serait la raison d’être.»
Cette stratégie révèle une contradiction majeure: en se présentant comme un champion de l’unité africaine, l’Algérie semble pourtant privilégier des calculs géopolitiques au détriment des principes fédérateurs de l’OUA.
La diplomatie algérienne: une mécanique usée par sa propre politique des grains de sable
Les archives de La Courneuve datant de 1975 convergent toutes vers un constat: lorsque l’Algérie a été tenue à l’écart, cette année-là, des accords de Madrid, Boumediene entreprend de proférer des menaces, fou de rage. C’est ainsi qu’il a évoqué, pour la première fois, un prétendu expansionnisme marocain qui aurait commencé en 1963 à la guerre des Sables. Toutefois, les archives démontrent plutôt l’inverse. Elles confirment que la guerre des Sables constitue une agression caractérisée de l’ALN contre des territoires marocains temporairement occupés par la France depuis 1957, dans le but d’endiguer tout soutien en hommes et en armes à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.
La bataille d’Amgala: le mauvais calcul
L’ambassadeur français Guy de Commines, rapporte ceci: «L’appui qu’apporte l’Algérie, de façon plus marquée qu’auparavant depuis quelques mois, à la radicalisation des rapports interafricains tient bien entendu à l’évolution de l’affaire du Sahara. Après l’échec subi à Amgala, qui résultait sans doute d’une appréciation erronée, en tout cas prématurément optimiste, des possibilités d’action de l’Algérie sur le terrain, celle-ci s’est efforcée de reprendre la main sur le terrain diplomatique. Par moments, ne serait-ce que pour se concilier certains états modérés ou tenter d’en détacher d’autres du Maroc, elle a pu donner l’impression qu’elle n’était pas fermée à la recherche d’un «arrangement». Mais son attitude pendant la réunion de Maurice montre que tel n’était pas son objectif: le président Boumediene est trop engagé dans cette affaire pour rechercher, avant longtemps, autre chose qu’une victoire sur le Maroc. La conscience des risques que lui ferait courir un affrontement direct avec ce pays l’incite certes à la prudence, à choisir, pour lui-même, le terrain diplomatique et à laisser le soin au Polisario de mener les opérations militaires proprement dites…
Les progrès de la thèse algérienne n’ont donc pas été ce que le président Boumediene espérait, mais l’affaire a montré avec quelle vigueur on continuait à viser le même objectif.»
Ainsi, en utilisant la stratégie d’une diplomatie militante et une guérilla, l’Algérie n’a pas trouvé mieux que la création des tensions entre les «acquis de sa révolution» et les menaces du «complot impérialiste», dans lesquelles elle se débat encore aujourd’hui, sans en sortir.
Pour attiser tout cela, l’Algérie a besoin de souffler sur les braises en réveillant les souvenirs de la guerre de libération et marteler que la question de la décolonisation n’est pas achevée, en faisant allusion au dossier du Sahara marocain. C’est la feuille de route «révolutionnaire» qui traîne derrière un projet colonialiste entamé par l’Armée de libération nationale depuis ses prises de contact avec l’armée espagnole à Mahbès en 1957.
La demande de médiation de Boumedienne: le diplomate, le belligérant et «l’homme de paix»
Pour mieux comprendre la responsabilité algérienne dans le conflit du Sahara, il serait pertinent de concevoir l’Algérie comme un tableau triptyque. Elle est, d’une part, l’acteur qui orchestre et soutient les attaques contre le territoire marocain. Elle est aussi celle qui, dans les arènes diplomatiques de l’OUA, manœuvre habilement pour conférer à la guérilla une apparence de légitimité. Enfin, elle endosse en coulisses le masque de l’homme de paix, sollicitant discrètement une médiation française soigneusement choisie et contrôlée.
Ces trois visages de l’Algérie— le belligérant, le diplomate, et le médiateur prétendu— confluent vers une seule et même réalité: sa responsabilité manifeste dans l’origine et l’entretien du conflit au Sahara.
Mais l’Algérie a toujours nié son implication dans le conflit et c’est pour cette raison qu’elle a censuré les informations de la propagande du Polisario et aussi celle de son organe officiel, le journal El Moudjahid. Nous donnons ce témoignage signé Drumetz, de l’ambassade de France à Alger qui rapporte ceci à l’époque:
«D’autre part, le Moujahid a reproduit dans des numéros de vendredi et de samedi les deux premiers articles que l’envoyé spécial du «Monde», P.M. Doutrelant, a consacrés à la situation actuelle au Sahara occidental. Ont cependant été omis tous les passages ayant trait au soutien militaire accordé par l’Algérie au Front Polisario, de même que ceux contestant certaines affirmations des dirigeants sa!hraouis ou faisant état de risques de découragement au sein des réfugiés de Tindouf». (Direction des affaires politiques, Alger, le 10 août 1976)
Ces réfugiés, dont les chiffres avancés par l’Algérie et ses organes officiels oscillent entre 40.000 et 70.000 en 1976, sont la conséquence directe de la débâcle militaire algérienne à Amgala, en janvier de la même année. La médiation sollicitée par Boumediene s’inscrit dans ce contexte et témoigne, comme le révèle ce document classé confidentiel-défense, que le président algérien reconnaît implicitement que le conflit oppose bel et bien le Maroc et l’Algérie. Le document relatif à cette demande de médiation, daté de 1976, constitue une preuve indéniable:
En plus de considérer le conflit du Sahara comme un problème impliquant le Maroc et l’Algérie, l’autre information essentielle contenue dans ce document est relative à «l’impopularité de la guerre algéro-marocaine tant dans la population que dans l’armée». On savait que la population algérienne ne supportait pas le bellicisme du régime d’Alger à l’égard du Maroc, mais on ignorait que l’armée algérienne ne suivait pas aveuglément la haine pathologique des fondateurs du Système, à leur tête Boumediene, du Royaume du Maroc. Faire la guerre à contrecœur n’a jamais réussi à une armée. Boumediene a dû en faire l’expérience à son cœur défendant après la défaite d’Amgala en 1976.
En tout état de cause, les hauts responsables français étaient convaincus que la question du Sahara revêtait également un aspect de fierté nationale pour l’Algérie, doublé d’un enjeu personnel visant à légitimer son soutien au Polisario. Après la débâcle d’Amgala, l’Algérie s’efforcera non seulement d’épargner ses troupes en évitant toute confrontation directe, mais aussi de renforcer les mercenaires en leur fournissant des armes sophistiquées, dans une tentative de compenser son revers militaire par une escalade stratégique.
Les réussites de la diplomatie algérienne qui ont tenu en otage l’OUA
Dans un climat de démagogie et de manœuvres bien rodées aux questions africaines, l’Algérie n’hésite pas à faire usage de tous les moyens en sa faveur pour créer une adhésion forcée à ses thèses. L’ambassadeur français Guy de Commines affirme que: «C’est ainsi qu’elle se livre fréquemment, dans les réunions internationales, les rencontres inter-africaines notamment, à «un forcing» acharné auprès des autres délégations, en faisant appel en cas de besoin à toutes les ressources de la procédure, qu’elle connaît mieux que quiconque. Ces procédés irritent souvent les pays modérés. Mais le climat des organisations internationales, de l’OUA tout particulièrement, est tel qu’il est difficile aux délégations de ces pays d’éviter de se laisser entraîner par le mouvement dominant et de voter en faveur de textes démagogiques. Les confidences amères que certains diplomates africains nous font en privé sur l’attitude algérienne n’apportent qu’une maigre consolation. L’Algérie sait qu’en définitive, dans ce genre de réunion, le «forcing» est payant, d’autant plus qu’elle dispose d’un grand nombre de «grains de sable» de nature à limiter l’ampleur des contre-attaques des pays modérés.»
Le drame de la diplomatie algérienne
L’Afrique a longtemps constitué le terrain privilégié de l’Algérie, où elle a pu déployer et mettre en œuvre ses stratégies et plans avec une efficacité qu’elle n’a pas su reproduire ailleurs dans le monde. Plus tard, c’est en Amérique latine que l’Algérie cherchera à élargir son influence, en s’appuyant sur le même discours dit «progressiste» et anticolonial, dans l’espoir de rallier les nations de ce continent à sa cause.
Cependant, cette mécanique bien rodée semble s’enrayer lorsqu’il s’agit de s’imposer au sein de la Ligue arabe ou du Conseil de coopération du Golfe, où ses ambitions se heurtent à des dynamiques politiques et diplomatiques qui échappent à son contrôle.
Ceci explique pourquoi l’Algérie a toujours tenté de considérer la question du Sahara comme une question africaine plus qu’arabe.
Le drame de la stratégie algérienne réside dans l’obsolescence d’un discours axé sur la décolonisation, un discours désormais perçu comme anachronique, voire contradictoire, puisque l’attitude adoptée s’apparente davantage à une posture néocoloniale. Ce discours n’a pas évolué depuis les années 70, activant les mêmes leviers et les mêmes slogans. Ankylosé et immobile, ce discours est un miroir bien fidèle du régime d’Alger, arc-bouté sur lui-même, et imperméable à l’évolution du monde après la chute du mur de Berlin et aux enjeux d’aujourd’hui. Le régime syrien, qui vient de s’effondrer comme un château de cartes, présente bien des parentés avec le régime d’Alger qui a publiquement soutenu Bachar Al-Assad après le début des opérations militaires, menées par les rebelles. La chute foudroyante de ce régime et la fuite honteuse de Bachar devraient donner bien des frayeurs aux caciques du régime d’Alger. Car, à moins d’un changement miraculeux, le régime d’Alger n’échappera pas au sort syrien.